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des décrocheurs d’étoiles ; et, comme il manquait physiquement d’équilibre aussi bien qu’intellectuellement, il subit de plus en plus dans son existence réelle l’influence de ses songes incohérents. Sans cesse égaré dans ses spéculations abstractives, il ne paraissait monter vers les hautes régions de l’art que pour en descendre, y remonter, en redescendre, comme s’il se mouvait en gonflant et dégonflant des ballons. Sa vie fut un haut et bas continuel, un chassé-croisé de contradictions. Quoique rebelle à la littérature marchande, plus que personne il courut après la fortune dont il se croyait toujours près de violenter les faveurs. Il se fit arracher ses mauvaises dents et poser un râtelier pour être en état d’épouser une grosse dot ; il machina plus de trente mariages, combinés sur la valeur de son nom. En parole il était préparé d’avance à toutes les concessions ; en fait il ne pouvait en consentir aucune et, de même que, tout en se disant capable du dernier sacrifice pour se procurer trois francs indispensables, il ne pouvait apporter, le samedi, son article de trois cents francs, de même, ne pensant qu’aux héritières, il se heurtait régulièrement au moindre motif qui les lui faisait repousser toutes. À cette époque, la plupart étaient juives ; il ne s’était pas mis dans l’esprit que l’une d’elles lui fût jamais offerte. Il bondit quand on la lui présenta. Sa fureur fut mieux justifiée lorsqu’on vint lui proposer une ancienne fille fort belle, très aimée d’un prince du sang sous le second Empire et qui, jeune encore, avait amassé cent trente mille livres de rente. L’idée qu’un descendant des plus fiers soutiens de l’Église et des rois pourrait perpétuer sa noble race avec une parvenue de la courtisanerie l’eût fait fuir aux antipodes. Mais la pensée qu’il aurait pu semer de la graine de juif l’épouvantait plus encore. Très glorieux de tout, même dun accueil un peu favorable auprès d’une femme, il avait fait la connaissance d’une hétaïre à la mode et de type israélite assez pur. Pour dissimuler