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Dans ce vers : « Je vous baise, ô pieds froids… » des critiques pointus ont pu chercher à saisir, sous l’apparence matérielle du symbolisme, une arrière-pensée du poète qui compose le tableau de sa tendresse posthume. Ce poète ne prétend-il pas nous avertir qu’il est un fils pieux et qu’il ne saurait manquer au plus sacré des souvenirs ; ne se peint-il pas à nous dans une attitude pittoresque où nous pouvons surprendre une intention de parade ? Non, s’il intervient, c’est avec le plus religieux souci. Dans quelle crainte d’un approchement sacrilège il rend à la dépouille vénérée le genre d’hommage réservé par les hommes aux plus saints personnages et comme, par cet acte d’humilité filiale, il grandit la chère image, comme il la place au rang des créatures d’élection, de ces mères délicieuses qu’ont sanctifiées l’amour et le sacrifice ! Et comme sur cette figure endormie plane le vague qui rassérène ! Est-elle morte depuis hier, depuis longtemps ? Qu’importe ! Elle repose dans la paix de l’éternel sommeil. Et comme cet effacement du temps et des moments éloigne de notre esprit la vision des affres dernières ! Pas un trait qui rappelle le souvenir d’une agonie ; pas un bruit de sanglots dont celle-ci s’accompagne. Un tel vers, que le choix miraculeux des mots rend noble entre tous, est sorti d’un cerveau capable de concevoir en même temps l’idée baroque du deuil porté par des bouteilles ; il fut sans doute rêvé sur l’impériale de l’omnibus ; mais c’est un vers de grande émanation poétique, car, avec le respect de la mort, avec la piété filiale, il évoque le problème de l’au-delà sous une forme de délicatesse discrète et de grandeur lointaine.

Évidemment, en citant de pareils exemples, Leconte de Lisle, Villiers de l’Isle-Adam et tous les partisans de l’expression indirecte avaient raison contre Coppée ; ils auraient eu raison contre le monde entier ; mais Coppée ne pouvait-il répondre qu’en restant exclusivement cornéliens, en prenant de vastes périphrases