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que l’héroïne, ayant perdu sa mère, exhale en petites homélies plaintives sa douleur ; or, sur ce thème, la mort d’une mère, Leconte de Lisle, pour trouver à nous citer un exemple de grand art, en appelait à Victor Hugo.

Victor Hugo, qui n’était pas un homme de parole (j’entends par là qu’il manquait de modalités dans la conversation, car il parlait lentement, également, sans parvenir à dissimuler l’apprêt de sa phrase et l’apparence méditée de ses légèretés), Victor Hugo, pesant comme homme de chair et d’égoïste matière, théâtral même et très capable de solenniser avec une emphase maladroite les idées n’éveillant en lui qu’un intérêt rétrospectif, Victor Hugo put dire, un soir, à l’un de ses voisins de table : « Vous voyez cette cire noire ; depuis la mort de ma mère, mes bouteilles sont ainsi cachetées de deuil. » Et cette lourde niaiserie, dont le fond n’était même pas vrai peut-être, cette badauderie de causeur qui se force à chercher un effet et qui révèle à quel degré de platitude peut descendre chez un poète de génie l’emploi de l’idée concrète, cette particularité dans la sottise n’a pas empêché Victor Hugo d’écrire en admirable langage, à propos de sa mère morte, des vers tels que celui-ci :


Je vous baise, ô pieds froids de ma mère endormie,


Il fallait le grand air à son génie, les longues marches au temps de sa jeunesse, l’impériale de l’omnibus quand survint la vieillesse ; mais alors, au hasard des promenades ou pendant les heures secouées par le cahotement du véhicule, la phrase chantait dans son cerveau ; son lyrisme s’exhalait à l’espace et parfois avec une sublime hauteur. Toute l’humaine pitié n’est-elle pas contenue dans le vers que je viens de citer, si grand, si noble d’élan filial ? Chez Hugo tout sortait, l’âme et l’excrément ; mais combien l’âme était de qualité ; comme elle a su planer à toutes les altitudes !