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elle qui provoqua la boutade. Une grande dame, marquise ou comtesse, attirée vers un peintre dont elle admire à la fois le talent et la tournure, est venue le voir à l’atelier. Parmi les esquisses de paysanneries pendues au mur, elle distingue une vieille femme plumant un canard et fait cette réflexion dont je rapporte le sens, faute de pouvoir citer textuellement les vers : « Comme c’est naturel ! Elle est étonnante, la commère. » Et le peintre réplique : « C’est ma mère, » et le jeu de scène se poursuit dans le développement de cet aveu d’amour filial. Sans paraître se douter que sa noble visiteuse puisse ou non le trouver ridicule, l’artiste parvenu, le petit paysan d’autrefois qui, parce qu’il expose au Salon et « gagne la médaille », ne se croit pas le droit de renier son origine, ce fils digne de sa mère se répand en confidences sur les vertus à la fois rustiques et maternelles de la brave maman dont il est le grand homme ; puis, prenant sur une table un album de photographies, il l’ouvre et le baise avec amour à la place où se trouve le portrait de l’excellente femme. Toute la scène était écrite en vers de conversation et les deux acteurs, en l’accentuant d’un débit larmoyant, n’avaient pas rehaussé la bassesse du style trop parlé. Or Villiers, particulièrement hostile à la poésie familière, vivement agacé par un attendrissement d’art si contraire à la rhétorique du Parnasse et choqué du profit qui lui semblait devoir en revenir à l’auteur, Villiers résuma son impression en débitant sur un ton d’orgue de Barbarie ce vers improvisé :

Donnez-moi de l’argent puisque j’aime ma mère.


Toute l’esthétique parnassienne est contenue dans cette saillie de Villiers. Honte et malédiction à qui laisse pleurer son cœur en poésie ! Naturellement Leconte de Lisle soutenait avec énergie Villiers. Je ne sais plus si ce n’est pas dans une autre pièce de Coppée