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Cette dame de Lanux, si dure pour le nègre, avait transmis non ses sentiments, mais son préjugé contre le sang noir à sa fille, Mme Leconte de Lisle, la mère du poète ; toutefois elle ne put exercer le même empire sur un fils qui, moins superstitieux et moins ennemi de la couleur, devint, par suite d’union avec une mulâtresse, le père de la rieuse cousine que Leconte de Lisle a célébrée dans le Manchy :


Sous un nuage frais de claire mousseline,
          Tous les dimanches au matin.
Tu venais à la ville en manchy de rotin,
          Par les rampes de la colline.


L’enfant aux grands yeux de sombre améthyste était née blanche avec des chairs de rose ; elle avait grandi svelte et blonde, et Leconte de Lisle, à peine adolescent, s’en était épris. Pour la première fois il ressentait la douce ivresse au cœur et, dans la poésie de la nature qui dès lors lui révéla sa destinée de poète, à travers les bois natals pleins d’arômes et de nids, près de la fontaine où se jouait la lumière, il poursuivait la gracieuse vision dont il aimait le frais visage, le regard profond et les boucles d’or. Et, certain jour, au cours d’une de ses promenades rêveuses, il vit surgir devant les vieux tamarins et toute caressée de reflets, comme une apparition claire, la suave enfant, fleur de ses premiers songes. Alors, exalté par cette vision qui l’illumine d’amour, il part à perte d’haleine, il arrive vers sa mère et, baigné de sueur, haletant, il crie que sa cousine est « une merveille », qu’il vient de la voir et qu’il veut l’épouser ; mais, surprise par la brusquerie de cette déclaration et saisie par la pensée trop soudaine qu’une quarteronne pourrait jamais devenir la femme de son Charles, Mme Leconte de Lisle s’évanouit.

Et pourtant la cousine était blanche. Plus tard Mme Leconte de Lisle dut accepter que son fils aîné se