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tiel de son art, il fut un peu mieux traité que les Impassibles. On ne saurait dire que le succès s’annonçait ; à peine perçait-il, aussi pâle, aussi vague qu’un très faible rayon d’aurore ; pourtant les plus avisés du Parnasse le devinèrent tout prêt à se produire, et ce fut le sujet de leur premier grief. Non qu’ils se sentissent le moindrement jaloux du talent qui devait rendre célèbre leur jeune confrère ; mais ils voyaient à regrets se dessiner la consécration prochaine de ce talent avec lequel ils se trouvaient en complète opposition théorique. Coppée plaisait par des dons d’émotion courante, par un étalage de sentimentalisme vulgaire, que les Parnassiens proscrivaient hautement de la poésie, et son succès naissant les blessait dans le plus cher de leurs principes.

Ce principe ne fut pas, comme celui du rebondissement de la rime et du prolongement poétique, une règle commune à l’école lyrique entière, mais la règle adoptive du Parnasse, à laquelle les vrais fidèles se soumirent religieusement. On doit ajouter qu’elle était dans l’âme de Leconte de Lisle. D’instinct, par vertu de nature, Leconte de Lisle poussait à l’excès la pudeur de ses sentiments, à tel excès même qu’il éprouvait plus que du dégoût, de la répulsion violente pour les lyriques sous-lamartiniens, les délayeurs de strophes fluides épanchant leur cœur en aveux indiscrets et plaintifs. Il les appelait l’école des « noyés sous leurs larmes », et personnellement il était obsédé par la peur d’être pris pour un attendrisseur de jeunes filles chlorotiques, comme Lamartine, ou, comme Alfred de Musset, pour un énerveur de collégiens en crise de désir. Faire de la matière poétique avec ses passions, lyrifier son propre cœur, étaler en poème à la curiosité publique les mystères d’amour qui, selon lui, ne restaient jamais assez cachés, cela lui semblait la plus lâche et la plus dégoûtante des profanations. Il l’a dit dans une pièce assez souvent reproduite, les Montreurs, qu’il suffira de résumer. À la plèbe gros-