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des transpositions de prose, mais encore, loin de respecter le caractère supérieur de la poésie, ils la firent descendre des hauteurs sereines aux bouges des tavernes et des lupanars. Le lyrisme s’encanailla, « s’encrapula, » disait Leconte de Lisle. Tant d’extravagances servirent du moins à faire comprendre aux Parnassiens que la puissance d’expression en poésie ne résulte pas du délire imaginatif et de la surabondance verbale, mais de la belle ordonnance de la phrase et du rapport exact des mots avec la pensée. Ni trop, ni pas assez ; il faut les proportions d’harmonie et, de même que le Parnasse répudiait les amplifications ultra-lyriques, de même il condamna toute formule opposée, capable d’amoindrir, de rapetisser la poésie.

Point de vraie poésie qui ne soit haute et dont le souffle d’idéal ne se répande comme un effluve du grand esprit de l’univers. Or, avant de tourner au paroxysme hugolâtrique, avant de travestir sous des ajustements de bravache ou des oripeaux de mauvais lieu la phrase toujours noble et la tirade grave de Chénier ou de Chateaubriand, le lyrisme s’était fait humble. Par horreur pour la vieille solennité classique, il s’était proposé d’exprimer la communion du cœur humain avec la nature familière. Ce mouvement avait produit l’école anglaise des Lakistes.

Limitant leur émotion lyrique à leurs coins du Cumberland, les chantres des Lacs s’étaient pris à soupirer devant leurs soleils couchants ou sous leurs clairs de lune, dans leurs prairies au bord de leurs nappes d’eau régionales ; puis, après en avoir abreuvé le monde jusqu’à satiété, lorsqu’ils disparurent, ils avaient préparé toute une école d’aspiration réaliste et remplacé par la petite impression pittoresque la grande sensation poétique. En confluant le lyrisme, en l’asservissant aux conditions inférieures d’un art de pays et de genre, les Lakistes l’avilirent ; et c’est à ce lyrisme humilié que Leconte de Lisle, Villiers de