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elles, elles servent de tremplin à l’esprit qu’elles entraînent à travers les plus vastes espaces. La pensée n’a donc rien perdu de toute l’étendue qu’elle comporte et, par le prolongement qu’il appelle, le vers est un vers de grand lyrisme.

Au contraire, quand Paul Bourget écrit dans Edel :


Le ciel d’automne était couleur d’un gant gris perle,


il ne taille pas dans l’ampleur de l’idée pour garder toute l’envergure à l’image, qu’il rapetisse et qu’il localise. À la conception de l’éternité naturelle il substitue la conception d’une mode passagère ; des immensités qui n’ont pas de limites il nous ramène au magasin de nouveautés, et la façon de ciel spécial, qu’il évoque par cette comparaison avec un article de comptoir pour dames, n’est plus l’inconnu mystérieux où se meut l’indéfini des mondes, c’est une sorte d’éther fashionable. Dès lors la sensation qu’il éveille se termine avec le dernier mot qu’il exprime. Il aurait pu versifier la même pensée dans le français le plus purement académique, il n’aurait pas pour cela fait fonction de poète.

D’ailleurs, au dire des Maîtres, cette fonction échappait à Bourget, si renommé dans le roman, si distingué dans la critique, mais « poétiquement noué », s’il m’est permis de rappeler l’expression dont se servait en parlant de lui Théodore de Banville. Banville, petit poète mais poète, doué d’un délicat instinct des sonorités, reconnaissait chez Bourget entre autres lacunes natives, le manque d’oreille rythmique ; et ce grave reproche, il l’énonçait sous une forme qui, tout en paraissant superficielle, n’en était pas moins exacte. S’emparant d’un exemple qu’il empruntait au deuxième Recueil publié par Bourget, il affirmait qu’un faiseur de vers capable de commettre une malsonnance telle que celle-ci : de la mère d’Edel, sans être choqué par la cacophonie de pareils génitifs, est un sourd en poésie.