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celui de la pensée. Qui rima mieux que Belmontet, et cependant son nom n’est-il pas l’équivalent de piètre poète ? Non, si les Parnassiens encoururent le reproche d’être un peu figés, si l’on put oser leur jeter à la face l’injurieux appellatif « d’impeccables refroidisseurs », ce n’est pas que leurs vers fussent glacés de correction à la manière des vers classiques de l’Empire. Ouvriers supérieurs, ils excellent à la mise au point poétique et cette faculté de justesse dans le métier leur fut si particulière que Coppée, « le plus roué des rimeurs », se trouva ni plus ni moins et tout naturellement de leur famille. L’entente fut complète sur cette question de pratique et c’est à des considérations plus élevées qu’il faut faire remonter le conflit.

Les Parnassiens furent moins partisans de la richesse des rimes qu’ennemis de la pauvreté, de la langueur décolorée des mots sur lesquels s’achève et chute un mauvais vers. Faite d’une épithète banale ou superflue, la rime laisse la pensée sans appui, la prive du point fort qui donnera le choc à l’esprit et qui le lancera dans la sensation poétique éveillée par le vers. Et cet état de suggestion qui s’étend au delà du dernier mot exprimé, cette sensation prolongée, c’est pour toute l’école lyrique le signe certain, la marque essentielle de l’expression poétique. Leconte de Lisle aimait à fixer cette idée théorique par ces deux exemples :

Lorsque Victor Hugo, dans les Feuilles d’automne, écrit avec une grandeur si simple :


Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées,


il ne rabaisse pas à son objectif d’homme le magnifique déroulement du spectacle occidental ; il ne le limite pas au champ d’une vision circonstancielle par des minuties de détails qui le particularisent. Le coucher de ce soir est le coucher des soirs éternels ; les nuées sont les nuées infinies et, le vers s’achevant sur