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ses petits yeux vifs, tout ronds, tout noirs et comme armés de piquants. Sauf pour Victor Hugo ménager de toute clientèle, pour la pléiade entière de 1830 le mauvais génie du monde, c’est le bourgeois.

En 1871, vers la fin d’avril, alors qu’à Paris la Commune soutenait furieusement la résistance, je me trouvais avec Anatole France à Versailles quand, traversant la grande cour du Palais, nous aperçûmes Théophile Gautier debout au pied de la statue équestre de Louis XIV. Sous son chapeau rebroussé de poils et mis sens devant derrière, avec sa redingote couverte de poussière et de taches, surtout avec sa mine fatiguée, son air absent du monde, il semblait une épave. Le canon, qui tonnait au loin dans la direction du mont Valérien, faisait peser sur les esprits l’engourdissoment de son bruit morne. Évidemment Gautier, le regard perdu vers l’horizon de Paris, laissait fléchir sa pensée sous le poids des douloureux événements ; il devait songer à la guerre meurtrière, à l’impitoyable liquidation du régime impérial auquel il était attaché par des liens presque tendres. Quelques mots prononcés par Anatole France, mots de vénération telle que la jeunesse d’alors la professait pour le maître étincelant du style, tirèrent Gautier de son rêve trop lourd. Il serra les mains respectueusement offertes et lentement, tout en laissant son regard tendu vers les brumes de Paris, il nous dit de sa voix empâtée ces seuls mots : « C’est par la bêtise du bourgeois. » Pensait-il ce qu’il nous disait ainsi ? Peut-être ! On accusait alors le blême M. Thiers d’avoir, par son indécision pusillanime, favorisé les premiers succès de la Commune ; mais nous eûmes l’impression que Gautier, effondré sous la détresse des temps, se serait trouvé moins malheureux s’il eût pu rendre responsable l’ennemi chimérique de sa génération littéraire, les Homais et Bonhomet, les perruques de Molinchart, les Sans-Art, les inesthètes, tous les bourgeois balourds, les Philistins épais.