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cette table trente heures de suite et, de la première à la dernière heure, il reste beau joueur, exempt d’irritation contre la chance qui le fait perdre. Il n’a ni la froideur, ni la rapacité de l’homme de métier, et c’est avec la conscience de la défaite probable qu’il s’est assis. Si, de hasard, il part avec un gain, il reviendra pour rendre à ceux qu’il a très involontairement privés de leur argent l’occasion de le rattraper. Tel est Dierx, chatouilleux d’honneur et constamment maître de ses émotions secrètes. Leconte de Lisle professait pour lui la plus solide estime ; mais Dierx fut encore plus l’ami de Leconte de Lisle que Leconte de Lisle ne fut son ami ; car sa piété presque filiale, son inaltérable tendresse résistèrent à toutes les épreuves, même à l’amertume d’une infériorité littéraire. Il se trouvait vis-à-vis de Leconte de Lisle dans une situation à peu près analogue à celle de Lacaussade, tous trois Bourboniens, tous trois poètes et poètes de même inspiration. Or, si Lacaussade, au dire des critiques, ne pardonna pas à Leconte de Lisle, qu’il a considéré longtemps comme un élève, d’avoir traité plus heureusement que lui les mêmes sujets et d’en avoir tiré le plus noble renom, Dierx ne laissa jamais deviner qu’il eût pu souffrir d’avoir parlé la même langue avec une faculté moins intense d’expression. Ainsi ce fut vraiment par la communion des sentiments et de la pensée qu’il entra dans la vie de Leconte de Lisle. De tous les disciples il demeura le plus près du cœur. Son rôle fut d’aimer le maître et de l’aimer avec l’infini respect, l’immense admiration dont son âme compréhensive et tendre est sereinement capable.

Tout autre était Villiers de l’Isle-Adam, façon d’original qui tantôt côtoie le chaos mental, tantôt l’espace ouvert au génie, et je suis obligé de lui faire la place assez grande, telle qu’il l’occupa dans l’intime société comme dans l’estime particulière de Leconte de Lisle, telle qu’il l’occupe aujourd’hui dans l’opi-