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Car la vie de Léon Dierx est une vie de souffrance, comme il convient pour une âme droite et simple, discrète et tendre. Sa famille était riche et fut ruinée lors du cataclysme qui ravagea Bourbon vers 1868. Léon Dierx habitait alors près d’un oncle et d’une tante qui tenaient rang de millionnaires, boulevard Malesherbes, et qui, du coup, furent réduits à de très petites rentes. Dierx avait trente ans. Tout occupé de suivre ses goûts littéraires, il n’avait pas utilisé son titre d’élève diplômé de l’École centrale ; il le fit valoir pour obtenir une place dans une compagnie secondaire de chemins de fer, et là, sous l’œil d’un bureaucrate aigri par les rancœurs du métier, il commença son existence de navrement. Il portait trop péniblement le poids de cette première servitude ; à la sollicitation de Mendès, Guy de Maupassant s’employa pour l’en débarrasser en lui faisant ouvrir les portes du ministère de l’Instruction publique. Ce n’était pas aisé. Dierx avait passé l’âge réglementairement fixé pour les concurrents à l’admission d’emploi ; mais Maupassant avait été secrétaire de Francis Charmes, alors chef de la division des sciences et des lettres ; il obtint que la difficulté fût tournée. Charmes proposa d’adjoindre Dierx au service de la bibliothèque. Henry Roujon, attaché depuis quelque temps au cabinet du ministre, appuya dans les bureaux la proposition et Dierx changea de chaîne. Celle de l’État, qui semble si légère, est lourde parce qu’elle asservit les intelligences aux besognes fastidieuses ; elle les courbe sur le pupitre d’ennui. Dierx la subit sans se plaindre et sut refouler au plus secret de son cœur l’amertume de ses dégoûts ; car il est de ces résignés qui poussent l’abnégation de soi-même jusqu’à l’immolation et, puisque les jeunes lettrés l’ont actualisé naguère en le nommant Prince des poètes, puisque de ce fait il est entré non pas, selon le mot qu’on lui prête, « dans le ridicule, » mais dans le calendrier des saints de notre période littéraire, il appartient au