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Et ce qui manque à Mendès, la possession complète du raisonnement, la poursuite rigoureuse des déductions, la synthèse du jugement, tout cela n’était que jeu pour Marras ; seulement Marras n’en jouait qu’en improvisateur. Coppée, tout étonné de rencontrer en lui de tels dons de logique mentale, lui dit un jour : « Pourquoi ne faites-vous pas de la critique ? » Il en faisait, car tous les jeunes littérateurs avec lesquels il se trouvait en relation le consultaient sur leurs œuvres nouvelles ; mais il ne la rédigeait pas en articles de Journal ou de Revue, parce que les idées qui le stimulaient et le satisfaisaient à l’état de concept oratoire, de rêverie parlée, cessaient de l’intéresser dès que s’imposait à son esprit la nécessité de les revêtir d’une forme matérielle, ce qui plus clairement veut dire qu’en dehors du discours il devenait aisément stérile.

Il devait à sa naissance un peu de l’indolence méridionale ; si bien qu’après la part faite au labeur administratif, il avait besoin de détente physique, de flânerie du corps laissant sa pensée seule active. Et, pendant ces heures oisives qu’il cherchait jadis aux estaminets d’art, aux brasseries littéraires, toutes les énergies de sa complexion vigoureuse, réfugiées à son cerveau, s’exaltaient vers la causerie. Puis, marié tard, à quarante-cinq ans, ayant trouvé dans la compagnie d’une admirable épouse l’attachement fidèle et le dévouement attentif qui le retenaient à la maison, il se complut en une sorte de paresse réfléchie, frileusement goûtée près du feu, devant la tasse de café qu’il buvait à faibles gorgées longuement intermittentes, comme pour tenir en éveil, sans l’interrompre, son rêve spéculatif. Mais si, par l’arrivée d’un ami, quelque choc d’idées venait à se produire, alors Marras se levait de son fauteuil, oubliait la tasse sur le poêle et, déambulant par la chambre, laissait déborder le cours trop contenu de ses méditations. À mesure que l’action de la marche rendait