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si les fameux débats littéraires de la brasserie des Martyrs eussent simplement changé de domicile. Le mazagran était remplacé par la tasse de thé, la familiarité des grisettes par la distinction aimable d’une maîtresse de maison ; mais la même indépendance présidait à l’échange des idées, leur absolue liberté se trouvant garantie de toute licence par l’élévation d’esprit qui ne cessait jamais de les inspirer. Car ce fut le grand caractère de ce salon, où rien n’était soumis à la gêne, ce fut son mérite rare, presque unique, d’avoir insensiblement accoutumé les hôtes « à penser noble, à juger haut ». Cette habitude se modifia plus tard et même elle disparut, mais après avoir duré longtemps, et la suite du récit m’y ramènera. Pour l’instant j’ai voulu simplement retenir que son orgueil d’homme et sa fierté de poète n’empêchaient pas Leconte de Lisle d’être un maître simple et bienveillant. Grâce à sa facilité d’abandon, ses prosélvtes gardèrent toute liberté d’initiative et leurs qualités instinctives, celles de Mendès et Marras surtout, purent se donner carrière sans crainte de désaveux ni de récriminations.

Catulle Mendès n’a pas un rival pour se démêler dans l’action. Qu’il mène une campagne littéraire, participe à la fondation d’un journal ou sollicite et souvent obtienne auprès des pouvoirs constitués de l’argent, des places ou des croix en faveur de ses amis des Lettres, il est toujours prêt pour l’affaire à traiter, pour le service à rendre. Il noue, dénoue prestigieusement ; mais il peut être moins utile dans la préparation ; les dons de combinaison lente et de sage élaboration lui tout défaut. Quand il se sert de la parole, il est tout aussi dangereux pour le partenaire que pour l’adversaire, car il en use légèrement, en nerveux qui, même lorsqu’il semble le plus maître de ses moyens, les dépasse ; dût-il compromettre la cause, il s’arrête rarement à propos, tant il s’excite intérieurement.