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faire une petite place à leurs idées et cela prouve bien que ce Caton se mitigeait de Machiavel quand il voulait. Avant d’aller à Bordeaux, puis de venir à Paris, il avait vécu sept ans dans le Languedoc ; il y était né sur l’antique littoral grec, à Cette, en face de Marseille, et détenait dans son sac toutes les finesses d’un vieux phocéen. S’il ne les utilisait guère à son profit, puisqu’il se désintéressait de l’action, du moins en faisait-il part à ses compagnons de lutte ; et c’est ainsi qu’il les mit au service de Leconte de Lisle. Avec celui-ci d’ailleurs les rapports ne s’établirent pas comme ils étaient établis avec Hugo, d’adorateurs béats à demi-dieu. Je reconnais qu’il n’eût pas justifié ce genre de prosternation par l’importance de sa situation sociale. Leconte de Lisle était encore très éloigné d’occuper le trône auguste des sacro-saints, et, malgré son air olympien, ses signes de tête n’imposaient pas silence aux mortels comme ceux de Jupiter ou de Victor Hugo. Les réceptions prirent donc, dès leur début, le ton d’intimité souriante et de cordiale camaraderie. Mme de Lisle eut un jour l’occasion de les définir en répondant à Mme Foucque qui sollicitait la faveur de venir faire soirée : « Non. C’est Charles qui reçoit ses amis. »

Partant d’un système tout opposé, Victor Hugo laissait planer cette fiction que les invités étaient traités par Mme Drouet ; il disait volontiers : « Madame, vous nous avez donné ce soir un excellent dîner. » Toutefois il ne prenait pas cette fiction tellement au sérieux qu’il en acceptât pour lui-même les obligations, car il arrivait souvent avec une heure de retard et toujours en veston, alors que la tenue pour les femmes comportait assez habituellement le décolleté. Proscrit chez Hugo[1], le tabac servait d’atmosphère à la causerie chez Leconte de Lisle, comme

  1. Rue de Clichy, les passionnés de tabac allaient fumer sur le palier de l’escalier ou montaient chez Lockroy, dont l’appartement était situé au-dessus de l’appartement d’Hugo.