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tant, comme on sait, à faire bouillir vivants des petits enfants, n’étaient pas seulement une fausse légende entretenue dans l’esprit populaire en vue de justifier quelque utile reprise de croisade, mais que le clergé procédait effectivement à ces bouillons macabres afin de pouvoir présenter aux fidèles, avec les restes cuits de la petite victime chrétienne, un témoignage palpable contre la soi-disant férocité des ritualistes d’Israël. Et Leconte de Lisle écoutait ces billevesées de l’histoire avec des éclairs de ravissement dans les yeux et, lorsqu’on voyait ainsi s’allumer son regard, on était sûr qu’un outrage à l’adresse de l’Église se préparait presque certainement. Toutefois, quoiqu’il mangeât du prêtre et qu’il en mangeât avec délices, il n’éprouvait aucune gêne à paraître aux églises ; il s’y maria ; sa veuve crut devoir l’y faire enterrer ; mais (éternelle contradiction de sa double nature), s’il ne partageait pas en cela la vigueur d’opinion dont Marras donnait l’exemple, si même, lorsqu’il y faisait allusion, il en souriait avec des mines dégagées, il en était réellement impressionné. Poète intransigeant, il fut l’homme qui transige, et sa faiblesse de caractère, qu’il déplorait comme une manifestation de lui-même singulièrement inconséquente avec sa toute-puissance littéraire, cette faiblesse qui lui causa beaucoup de confusions, le sollicitait à considérer avec un véritable étonnement l’énergie contraire chez ses amis. Je ne dis pas que Marras fut, parmi ses intimes, le plus cordialement cher ; il fut moralement le plus écouté.

Marras d’ailleurs, par sa seule complexion physique, avait en soi des dons pour dominer. Trapu, musclé, pouvant donner de grands coups de voix et de grands coups d’épaules, « il tonnait du thorax, » comme disait Leconte de Lisle. Son masque osseux, aux sourcils puissants, au vaste front d’hidalgo chevelu, décelait un tempérament d’acier. C’est par là qu’il s’imposait et non par la grâce. Lorsqu’il forçait