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s’était fait l’arbitre de la littérature. On sait qu’en 1856, comme il allait disparaître sous le coup d’une nouvelle loi régissant la presse, il s’était tiré de cette fatale conjoncture en adressant au Prince impérial, alors âgé de quatre jours, une supplique d’un tour habile et dont la Cour avait ri. L’adroite flatterie méritait un juste prix ; l’arrêt de mort fut suspendu. D’ailleurs une telle faveur s’expliquait par un autre motif que celui d’une simple concession faite à l’esprit. Le régime impérial avait besoin d’une certaine presse qui lui fût complaisante ; par sa chasse aux idéologues, le premier Empire avait tué les idées ; le troisième Empire dut créer une atmosphère moins irrespirable à la littérature, mais il rendit l’air délétère. La libre discussion fut proscrite, les plus hautes revendications morales semblèrent suspectes et, par nécessité d’existence, l’ancien Figaro, soumis et toléré, devint le complice de ce système de gouvernement auquel il était redevable de la vie. Alerte, incisif, il exerça sa verve aux dépens des adversaires du césarisme. Les libéraux des Lettres servirent de cibles à ses risées et, pour ne pas manquer de blagues à donner en pâture à son public en partie composé de gandins et de filles, il dut en arriver à se moquer de toutes les vraies noblesses, Il railla les ambitions et les vertus généreuses, les sérieux labeurs, les élans salutaires. Flattant tout ce qu’il y avait de moins noble dans l’âme de ses lecteurs, il les amusa de niaises calembredaines, d’insinuations perfides, de petits scandales mondains ou demi-mondains ; par lui s’imposèrent au goût public les raconlages de coulisses ou de boudoirs et le sans-gêne calomnieux qui sont entrés comme un besoin vital dans notre sang.

De quel œil ces virtuoses du vice et de la jolie fange pouvaient-ils considérer un Leconte de Lisle qui, par dégoût du présent, par adoration du passé, tenait ses regards obstinément fixés vers la source de pureté primitive et qui, divinisant son art, concevait le poète