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Leconte de Lisle, au contraire, poète de l’effort et rappelé sans cesse à la rectitude par la discipline de son pénible labeur, gardait la pleine possession de sa faculté critique ! Ce qu’il était, il avait dû le conquérir sur lui-même et, dépourvu de jet, incapable de se pousser aux nues par le coup de talon sublime, il ne sut être grand, planer très haut, que par l’intelligence souveraine de son art. Et ce sens de la perfection, qui lui donnait le droit d’être sévère pour les incorrections des autres, le privait en même temps du moyen de rester réellement insensible à leurs mérites. Pouvait-il ne pas admirer des beautés poétiques qu’il s’était appris à goûter et savourer mieux que personne ? Il s’imposait de n’en rien montrer, mais ses dédains étaient plus extérieurs que réels. Sans doute parce qu’on lui reconnaissait la faculté de jugement exact et la puissance admirative, parce qu’on le devinait ému même devant certaines œuvres du temps présent, on lui tint davantage rigueur d’avoir faussé son sentiment. J’ai dit quelles clameurs de réprobation accueillirent ses préfaces et cette thèse qu’elles proclamaient comme un dogme absolutiste : « Homère, Eschyle, Sophocle en poésie ; Phidias, Lysippe en sculpture ; puis rien que des siècles hésitants, auxquels succède le néant. » Comment de telles propositions n’auraient-elles pas soulevé contre lui, selon sa propre expression, « une pyramide d’anathèmes » ? On l’accusa de vouloir forcer la réclame par des paradoxes baroques, de se coiffer d’un chapeau chinois pour attirer l’attention des badauds et pour les amuser en lançant des pétards à travers les jambes des poètes ses confrères. Surtout on le traita de résurrectionniste, gratteur de nécropoles, qui, pour « puer au nez des vivants », réveillait les vieux morts. Et, parmi les journaux les plus acharnés à lui garder rancune, il faut citer l’ancien Figaro.

Ce deuxième Figaro, remis au jour par Villemessant et d’abord hebdomadaire, puis bihebdomadaire,