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source vive d’espoir et de jeunesse. Au fond, tout au fond de lui-même, Leconte de Lisle en subissait la griserie communicative ; il en savait apprécier le généreux essor, l’élégance primesautière. En une étude critique, faisant partie de la série qu’il publia dans le Nain Jaune, il a reconnu du génie à Musset et cet aveu forcé révélait son opinion vraie, bien plus vraie que ses boutades. Et ses querelles de mots, ses constantes attaques à coups de pointes d’aiguilles étaient la réaction nerveuse de l’ébranlement involontaire, mais tensif et lancinant, qu’il ressentait quand un retour de pensée venait lui faire surgir à l’esprit l’image d’un contemporain, d’un vivant, ayant indéniablement fait preuve de génie. C’était son mal, cette souffrance intime et profonde, qui n’est produite ni par l’aigreur de la bile envieuse ni par la malignité du chagrin jaloux et qui, devant la glorieuse évidence du mérite des autres, ne s’épanche pas en acres humeurs, mais ne peut cependant se défendre de ces réticences inquiètes, de ces piqûres taquines dont les plus honnêtes d’entre les hommes de lettres, sans même excepter le bon La Fontaine, ont été coutumiers dans tous les temps. Cette souffrance, Leconte de Lisle, comme la plupart de ceux qu’elle affecte, la cachait sous des apparences tantôt enjouées, tantôt contraintes, qui pour les initiés témoignaient de son émotion secrète. Aucun poète ne l’a plus étonné, ne l’a plus accablé du contraste avec lui-même que Victor Hugo, dont il devait envier, dont il envia l’extraordinaire facilité confinant au prodige, et ce fut sous l’influence de cette impression qu’il parut constamment obsédé du besoin de la censurer.

Des Orientales, il affirmait n’aimer que l’allure générale, la cadence du dernier vers, tout en ajoutant qu’Hugo n’avait jamais inventé de rythmes. Dans l’œuvre entière, il incriminait l’inintelligence des époques de l’histoire, l’abus des oppositions, l’artifice des décors et la répétition des mêmes effets, les des-