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car, moins insouciant de science que Musset, il avait consulté les travaux les plus récents des mythologues avant de composer sa belle invocation à la Vénus de Milo :


Tu n’es pas Kythérée, en ta pose assouplie,
Parfumant de baisers l’Adonis bienheureux
Et n’ayant pour témoins sur le rameau qui plie
Que colombes d’albâtre et ramiers amoureux ;

Et tu n’es pas la Muse aux lèvres éloquentes,
La pudique Vénus, ni la molle Astarté
Qui, le front couronné de roses et d’acanthes,
Sur un lit de lotos se meurt de volupté.


Mais voici que les savants, après avoir longtemps méconnu la parenté de l’Aphrodite grecque avec l’Astarté des côtes d’Asie, l’Astarté face de Baal, coiffée d’un bonnet phrygien et révérée en de sanglantes débauches, voici que ces savants établissent aujourd’hui l’origine commune des deux déesses et qu’ils la prouvent par la phonétique. Aphrodite, la fille de l’onde amère, serait simplement, par suite d’une importation phénicienne en Grèce, la transformation hellénique de l’Astarté sémitique, dite par les Hébreux Astoret, Aphtoret, d’où les philologues font dériver Aphrodite, comme d’Amphtoret, Amphitrite. Et ce serait Leconte de Lisle qui, pour s’être enquis des bonnes doctrines mythiques de son temps, aurait commis une erreur de critique, alors que, s’en fiant à son seul instinct lyrique et n’ayant certes pas songé qu’il eût à se mettre d’accord avec des philologues pour accoupler les deux vocables Vénus-Astarté, Musset se trouve avoir évoqué, trente ans avant les spécialistes, l’universalité du culte d’Aphrodite. Or cet instinct lyrique qui chante à la manière des oiseaux, sans souci scientifique et pour la seule ivresse, c’est le génie de Musset, génie libre et léger, dont les strophes mélodiques s’épandent comme une