Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui fut rapporté, se mit fort en colère et je me rappelle la virulente tirade qu’il termina par cette exclamation : « Notre ami pourra se battre longtemps les flancs avant d’écrire seulement Quentin Durward ou l’Antiquaire. »

L’Antiquaire, il n’eût pas fait bon d’en médire dans la maison. Et ces admirations avouées se doublaient des admirations secrètes, de celles que Leconte de Lisle refoulait en lui-même et qu’il cachait obstinément sous des dehors acerbes en opposition avec ses plus intimes pensées. C’est ainsi qu’il eut l’air d’avoir trop dédaigné Musset et qu’il en fut souvent blâmé. Sans doute on lui reconnaissait le droit de critiquer les rimes faibles, les tournures prosaïques, les prosopopées tournant à la rengaine, les quelques vers incompréhensibles qui déparent l’œuvre du poète si librement inspiré ; mais était-ce un motif suffisant pour se taire sur les qualités généreuses en faveur desquelles les défaillances doivent être pardonnées ?

Il s’en prenait aux tirades trop lyriques, notamment à celle-ci que, dans la Nuit d’octobre, le poète adresse au spectre d’une maîtresse :


Honte à toi qui la première
M’as appris la trahison… (etc.)
.............
C’est ta voix, c’est ton sourire,
C’est ton regard corrupteur.
Qui m’ont appris à maudire
Jusqu’au semblant du bonheur.
C’est ta jeunesse et tes charmes
Qui m’ont fait désespérer
Et, si je doute des larmes,
C’est que je t’ai vu pleurer, (etc.)


Il ne manquait même pas d’insister sur la faute de grammaire : « Je t’ai vue pleurant ; donc je t’ai vue et non vu pleurer. » Puis, de détails en détails, il cherchait noise à des tours de phrases tels qu’au deuxième vers de la Nuit de mai :