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dieuse contemplation des choses impérissables, élèvent au-dessus des contacts inférieurs. Par leur respect passionné pour l’Art, « l’unique révélateur des harmonies souveraines », ces esprits-là montent au sommet commun vers lequel toutes les voies de l’intelligence convergent. Eux seuls habitent l’espace sans frontières où plane la poésie, eux seuls connaissent l’éblouissement de la pure splendeur. Et cette notion du sublime, cette éclatante vision d’un idéal supérieur, Leconte de Lisle la déniait au « public imbécile » pour lequel son mépris n’avait jamais assez de profondeur. Démocrate politique et social, il fut un aristocrate intellectuel. Dans l’ordre cérébral l’égalité lui fait horreur. Il décerne le rang suprême, la part d’élection aux initiateurs d’art, prêtres de la forme sacrée dont ils doivent garder le culte intact tout en guidant la cohue banale des foules sur le chemin du sanctuaire. Et vraiment il se croit en possession de la vérité littéraire et la tâche qu’il s’impose est d’en rester le plus respectueux des dépositaires. C’est cette tâche qu’il poursuit dans la solitude. Plus le délaissement et l’abandon ont fait le vide autour de son intérieur, plus il se rattache à sa théorie de privilège et d’exception ; plus il se sent pris d’éloignement pour l’âme du vulgaire et plus il s’enferme avec la clef du temple, afin de vivre la vie contemplative et savante, seule préparatrice des vrais apostolats.

Dès 1853, dans sa préface des Poèmes antiques, il avait avancé qu’après Homère, Eschyle et Sophocle, à partir d’Euripide, novateur de décadence, l’anarchie s’était emparée de l’esprit humain ; que Shakespeare et Milton parlaient et conversaient comme des barbares ; que Byron n’était qu’une force fougueuse, Chateaubriand un produit factice, et que les poètes contemporains, à part quelques éclats d’ordre individuel, n’exprimaient que leur propre inanité. Seule est pure la source que les Initiateurs antiques du Beau nous ont révélée.