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et les vieux tamarins, les plantations de cannes bruissant sous les souffles alizés et la brise qui s’embaume autour des sucreries ; le ciel splendide et bleu, la sève qui crépite au grand feu de midi, puis le mont dentelé qu’illumine le soir. Du flanc de ce mont où le sort l’avait fait naître, il revoyait en esprit la sereine perspective dont s’était émerveillée son enfance : Saint Paul aux maisons claires et, dans le lointain, la baie tranquille, car une lagune vaseuse et des vents circulaires en éloignent le commerce. Il revoyait les pentes de descente vers les en-bas, la chaussée qui borde l’étang et les chers morts qui dorment dans les sables marins. Et sa pensée, tout attendrie de regrets, s’envolait vers la suave vision de son premier amour, de cet amour jeune et pur, dont il a gardé si longtemps le fidèle souvenir :


Et tu renais aussi, fantôme diaphane,
.................
Ô chère Vision, toi qui répands encore,
De la plage lointaine où tu dors à jamais,
Comme un mélancolique et doux reflet d’aurore
Au fond d’un cœur obscur et glacé désormais !

Les ans n’ont pas pesé sur ta grâce immortelle,
La tombe bienheureuse a sauvé ta beauté ;
Il te revoit, avec tes yeux divins, et telle
Que tu lui souriais en un monde enchanté[1] !


Et la magie du passé lui semblait plus prestigieuse encore par suite du contraste avec le présent, avec la triste prison de la rue Cassette, si triste qu’il se prit souvent à désespérer du destin.

Par bonheur, au cours de ses longs débats avec l’étranglement de la pauvreté, son orgueil, qui fit sa force littéraire, ne sombrait pas. Leconte de Lisle eut en tout temps la conscience d’être une de ces âmes privilégiées que la compréhension du Beau, la stu-

  1. L’Illusion suprême (Poèmes tragiques).