Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

châtieur intraitable de la phrase dont il traquait avec une implacable acuité d’analyse toutes les faiblesses. Sans pitié ni répit il pourchassa de gouailleries acerbes, ironiquement flagellantes, le style facile, ce qu’il appelait le style d’orateur et ce qu’un bon confrère académique, dont l’esprit ne manque pourtant pas d’atticisme, appelle contre toute révérence « l’eau pissée de M. Claretie ». Et si Baudelaire fit des élèves hérissés de racines, empêtrés dans les enfourchures, comme Léon Cladel[1], il contribua fortement à propager le mépris voué par toute une école littéraire à la façon d’écrire qui, sous des brillants à facette, redonde et surabonde de formes louches dans l’application de la syntaxe ou de fausses acceptions dans l’emploi des termes. Pas de bonne expression qui ne soit absolue, pas de bonne phrase qui puisse être récrite sous une forme différente de celle qu’elle revêt nécessairement, et l’on a souvent répété la comparaison dont se servait couramment Baudelaire : « Il faut que les mots s’adaptent à l’idée, comme à la main les gants de peau. » Lorsqu’il se lançait sur cette question, il la développait avec une incomparable verve pittoresque ; c’était entre Leconte de Lisle et lui le sujet d’interminables entretiens.

Ni l’un ni l’autre ne doutaient que la littérature fût le premier des arts, le plus ancien dans l’ordre du monde, comme le plus élevé dans la puissance expressive. Pour notre génération morbide, appauvrie de chlorose et qui se nourrit d’impressions effacées, sans contours, c’est devenu la mode de proclamer la suprématie de la musique sur tous les autres arts, et cela sous le prétexte que la musique peut étendre dans les limites les plus flottantes du rêve ses évocations ; on dit qu’elle procure l’infini des sensations. Et précisément parce qu’elle est avant tout un

  1. Hébrard définissait le style de Cladel « du nougat aux cailloux ».