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que donnent aux lutteurs d’art ses résistances et ses détresses, ceux-là se croient le droit et s’imposent le devoir d’adresser leur hommage reconnaissant à l’amie qui fut alors pour lui le rayon consolateur. Vive et gracieuse, elle s’efforça de rendre moins sombre le logis embrumé de misère et, si jamais le hasard faisait passer sous ses yeux les quelques lignes qui respectueusement rappellent son rôle secourable en ces pénibles jours, qu’elle daigne apprendre que, pour les vrais amis de Leconte de Lisle, comme pour les admirateurs sincères que n’aveuglent pas les faux brillants du monde, son sacrifice la pare d’une auréole. Ce sacrifice suscita bien des susceptibilités médisantes autour d’elle ; mais les camarades littéraires, qui la jugeaient avec plus d’impartialité, lui vouèrent une estime dont le souvenir, à quarante-sept ans de distance et malgré les changements qu’amène la vie, ne s’est pas éteint. Si donc la plupart d’entre eux ne parurent plus guère chez Leconte de Lisle, c’est que d’autres obstacles les en tinrent éloignés.

Flaubert, habitant la province, faisait une ou deux visites par an, comme il continua d’en faire jusqu’à sa mort. Quant à Théodore de Banville, il sentait en Leconte de Lisle un futur chef de chœurs et ne se hasardait pas à trop de familiarité. Chacun pour sa chapelle ; entre pontifes, telle est la règle.

Et c’était le temps où Louis Ménard, satisfait de posséder son métier de poète et même d’avoir créé des rythmes, se vouait à la peinture avec une ardeur presque exclusive. Il demeurait pendant la meilleure partie de l’année à Barbizon. Sur ce bord de forêt cher aux grands amoureux de la nature, il partageait un atelier avec son frère et seulement aux rares jours qui le ramenaient à Paris il revoyait Leconte de Lisle et lui consacrait des après-midi tout entiers. Ils discutait en fumant sa pipe, quitte à la cacher au premier coin si le tintement de la sonnette pouvait faire croire à l’apparition d’une visite. Qui sonnait ? La