Cette race boulonnaise est proche de la mienne, par les côtés « mers » tout au moins. Seulement, vous n’entendrez jamais un marin breton proférer qu’il aime la mer.
Les navigations de nos harenguiers ressemblent à celles de nos thoniers, de nos chalutiers. C’est une école rude, aussi forme-t-elle de rudes garçons, au physique et au moral. Au point de vue chrétien, les hommes chez nous sont d’extérieur assez froid, souvent. Mais quand on a pénétré leur âme, quelle profondeur de Foi ! Je ne l’ai jamais rencontrée hors de Bretagne. Peut-être écrirai-je un jour le livre que vous me conseillez de faire sur eux. Et je n’aurai pas grand chose à inventer pour intéresser.
Nous voici loin de Gingolph. Je vous remercie très sincèrement de me l’avoir donné. À cause de ce qu’il me rappelle, et de certains mots qui s’y trouvent, je l’aimerai plus que toutes vos autres œuvres. Il est au fond de ma cantine, et je vais l’envoyer chez moi dès que je pourrai.
En ce moment ce n’est guère possible. Nous sommes de la zône qui bouge et va en avant. Et je viens de vivre les deux nuits les plus effroyables de ma vie de soldat.
C’est l’avril. Aux avant-postes nous avions des trous dans la boue, et l’on ne pouvait même pas y déplier les jambes. Toute la nuit, la pluie, de l’eau jusqu’aux mollets, sur le plateau. Le jour, beau temps et l’on a marché. Prise sous un feu de mitrailleuses ma section a progressé quand même. À chaque bond, les autres raccourcissaient leur tir, à droite, à gauche, devant, derrière, les balles se fichaient en plein dans la ligne, — mais toujours dans les intervalles et dans les distances. Et je n’ai pas eu un blessé ! La Providence est magnifique.
Un village enlevé, il a fallu se remettre en marche, la nuit, sous la pluie glacée, les obus, et les balles. Au matin, nous avons fait des trous. Et après avoir somnolé une heure, tous les hommes se sont réveillés, claquant des dents, les genoux tremblants, couverts de neige, et trempés de la tête aux pieds. Toute la journée la neige tomba, et