Notre division n’a eu que peu de pertes et le corps d’armée est toujours en ligne. Sans doute irons-nous au grand repos après les attaques qui viennent. Les survivants pour un mois ou deux, et les morts, pour toujours.
Je suis remis maintenant des fatigues des premiers jours. Prêt pour les nouvelles vagues. C’est beau, un départ pour l’assaut. Nos Bretons ont été splendides. Sans enthousiasme, sans Marseillaises, en silence, bien alignés, au pas. Des fusants ont éclaté, des mitrailleuses se sont mises à crépiter ; cela ne troublait point leur calme surnaturel. C’était si beau que je n’en pouvais plus, — et je crois bien que j’ai pleuré. Ah ! les vaillants !
C’est une belle aventure, Lucien, de coucher, un soir de victoire mort ou vivant, sur des positions arrachées aux mains de l’ennemi. Il n’en est guère qui la vaillent.
Vu ce qu’ils ont fait à Lille, les bourreaux boches. Soyez tranquille : ils paieront tout. Si je puis sans accrocs arriver au corps à corps, ma hache et moi, mon ami, ferons de notre mieux pour vous venger.
J’ai une hache, oui. Moi seul, du reste. J’ai voulu essayer l’arme de mes ancêtres corsaires. Elle n’est point trop lourde pour mon bras. J’en suis satisfait.
Au revoir, Lucien, bientôt, – demain sans doute, — nous allons revoir le visage de la Mort, dont le décharnement n’effraie point les Bretons
« Car dans les orbites vides
De l’Ankou (la Mort) ils voient
Les yeux divins du Crucifié ».
Maintenant beaucoup tombent et tomberont dans ces champs-ci. Si mon tour vient de me coucher pour toujours, de payer de mon sang la victoire de mes frères, ne me plaignez point ; il est bien de mourir ainsi. Songez que je serai tombé… pour la délivrance de notre Terre, et