À M. Pierre Mocaër.
Excusez le pauvre papier. Er brezel[1].
Peu de nouvelles à vous donner. Je n’ai passé encore que 48 heures en première ligne. C’était le tour de mon régiment de venir au repos pour 10 jours. Nous repartons le 7 pour un secteur voisin.
Mon repos consiste à venir toute la journée tous les jours dans la forêt, surveiller une corvée de bûcherons qui abattent des arbres et en font des rondins de 3 mètres pour les tranchées. Encore un métier que j’aurais fait, en plus des autres.
La forêt est splendide. Les feuilles mortes portent à la rêverie ; les vertes parlent de l’espérance et de la Celtie. En ce moment je suis assis sur une pierre au pied d’un gros hêtre. Les hommes travaillent. Alors je pense à vous.
Si vous avez passé par l’imprimerie, on a dû vous remettre, empaqueté par mes soins, le manuscrit dont je vous parlais. Je n’ai pas eu le temps de transcrire les cantiques. Si je ne reviens pas c’est une corvée qui vous incombera. Aussi bien j’espère, – je ne sais du reste pas pourquoi, – revenir.
Raté à Nantes l’occasion de faire connaissance avec votre courtier maritime[2]. Lui ai écrit, sur la demande qu’il a chargé un de mes camarades de me faire.
J’ai la tête vide ce soir. Quand je serai dans les tranchées, si nous avons la paix comme la dernière fois, – ce que je ne crois pas, enfin à mon premier moment de liberté spirituelle, – je vous expliquerai ma façon de concevoir notre nationalisme. Je crois que nous nous entendrons facilement sur tous les points.