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LE SECRET À HAUTE VOIX.

vous lui remettiez ma lettre que voici ; moyennant quoi, et lorsqu’elle verra mon sceau et mon écriture, elle ne pourra pas douter que vous n’ayez fait le voyage.

frédéric.

Je reconnais parfaitement, seigneur, la justesse de tout ce que vous dites, et, de plus, cette lettre me rassure. Mais cependant, comme je sais, de fait qui vous êtes ; comme la duchesse a voulu m’éloigner la nuit passée où j’avais un rendez-vous galant, et que ma dame m’a dit que Son Altesse était avertie des sentiments qu’elle me porte, ce qui pourrait nuire à la considération dont elle jouit, — je ne puis m’empêcher de ressentir une certaine tristesse.

henri.

Nous causerons de cela plus tard. Pour le moment voici la lettre. Tâchons de dissiper les premiers soupçons ; nous avons du temps pour le reste. (Lui donnant une lettre.) Prenez, Frédéric ; et adieu.

frédéric.

Est-ce que vous ne reviendrez pas bientôt au palais ?

henri.

Hélas ! s’il renferme, comme il n’est que trop vrai, la patrie, le centre et la sphère de mon âme, tout le temps qu’elle vit au dehors, elle vit dans la souffrance.

Il sort.
fabio, murmurant.

Se peut-il qu’un homme honorable supporte tout cela !

frédéric.

De quoi donc te plains-tu, Fabio ?

fabio.

Je ne me plains de rien. Mais faisons un peu, monseigneur, le compte du temps que je vous sers ; car alors même que vous m’auriez donné par heure ce que vous ne me donnez pas par année, je vous jure devant Dieu que je ne vous aurais pas servi une heure de plus.

frédéric.

Pourquoi cela ?

fabio.

Parce que ma tête est tellement pleine de réflexions, qu’elle en crève ; et il n’y a pas assez d’argent au monde pour payer un valet qui réfléchit… surtout sur autant de sujets ou de prétextes.

frédéric.

Comment ! que veux-tu dire ?

fabio.

Le voici. — Fabio, je me meurs. Fabio, mon espoir n’a plus qu’un jour à vivre. — Eh bien, mon seigneur, je vais faire préparer l’enterrement. — Reste là, je ne mourrai point, je renais à la vie, et cette nuit obscure me sourit comme le jour le plus brillant. — Grand bien vous fasse, monseigneur… — Fabio ? — Seigneur ? —