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LE SECRET À HAUTE VOIX.

amour, il faut absolument que je tâche de causer avec vous cette nuit touchant la conduite que nous devons tenir. En conséquence, la grille du jardin sera entr’ouverte, et plutôt que de vous perdre je perdrai la vie. En foi de quoi je vous envoie en même temps mon portrait, pour lequel vous me ferez alors vos remercîments. » (À part.) Est-il un homme plus heureux ? (Appelant.) Fabio ! Fabio !

fabio.

Qu’est-ce donc ? Est-ce que vous vous mourez ?

frédéric.

Au contraire, je vis, je vis plein de joie.

fabio.

Voyez donc ! ne vous avais-je pas donné un bon conseil ? Il n’est tel pour un homme que de s’aimer lui-même.

frédéric.

Heureux, charmé, plein de joie, je pourrai parler cette nuit avec la beauté que j’adore… Ô soleil ! toi qui comme le brillant vainqueur du ciel le parcours lentement dans ta marche orgueilleuse et triomphante, daigne aujourd’hui abréger ta course, en entendant combien ta lumière est funeste à un mortel ! Et vous, astres charmants, qui avez tant d’influence sur l’amour, levez-vous contre un empire usurpé, et formez autant de républiques dans le ciel ; car le soleil a méconnu vos droits, car le soleil s’est emparé d’un pouvoir qui vous appartient.

Il sort.
fabio.

Il est fou comme tous les fous réunis. Mais ce qui m’étonne le plus, ce n’est pas tant de le voir fou que de me voir, moi, si sot, si bête, que je ne puisse…


Entre FLORA.
flora.

Fabio ?

fabio.

Que voulez-vous, madame ?

flora.

Suivez-moi.

fabio.

Si c’est pour un défi, donnez-moi un moment, que j’aille chercher quatre ou cinq de mes amis.

flora.

Suivez-moi.

fabio.

Pourquoi cela ?… Pour que je vous suive, êtes-vous la dame qui me donne de la jalousie, ou bien suis-je, moi, le galant qui ne vous donne rien ?