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JOURNÉE I, SCÈNE I.

frédéric.

Je le relève.

arnesto.

Arrêtez.

lisardo.

C’est à moi de le ramasser.

frédéric.

Si j’avais l’intention de l’emporter, je le pourrais encore ; mais comme ce n’est pas là mon dessein, seigneur Lisardo, nous n’aurons point querelle ensemble. Ce n’est pas un mérite que d’être arrivé le premier, ce n’est que du bonheur. Voyez, je tends à Laura son gant. (Donnant à Laura un autre gant tout semblable à celui qu’elle a laissé tomber.) Tenez, madame. Pour moi, je suis déjà récompensé de mon empressement, car je vous sers et ne vous offense pas.

lisardo.

Vous m’avez tiré avec esprit, seigneur Frédéric, d’une position embarrassante.

la duchesse.

Et moi, je ne suis pas plus contente de lui que de vous. C’est vraiment bien de l’audace que, moi ici présente, on se permette de relever de terre un objet de la toilette d’une de mes dames. Remerciez-moi de ce que je ne vous montre pas plus de colére, et de ce que je me contente, pour cette fois, de vous exprimer mon mécontentement. (À part.) Ô ciel ! protége-moi ! Je suis la première femme que le silence ait tuée.

La duchesse sort. Elle est suivie de toutes ses dames, à l’exception de Laura.
arnesto.

Son altesse s’en va de mauvaise humeur ; et certes elle n’a aucun motif pour cela. Ne la suivez point à cette heure dans ses appartements, Laura ; rentrons plutôt dans le nôtre. Je connaissais bien son caractère, et j’avais bien prévu les ennuis qui pouvaient en résulter, lorsque, en acceptant l’administration de son État et un logement au palais, je n’ai pas voulu que vous la servissiez autrement que pour l’honneur.

laura.

Je dois vous obéir en tout. (À part.) Les emportements de la duchesse en disent beaucoup. L’amour veuille que ce ne soit pas ce que je soupçonne !

Comme Arnesto et Laura se retirent, tous les cavaliers les suivent.
arnesto.

Où allez-vous, cavaliers ?

frédéric.

Nous marchons disposés à vous servir.

arnesto.

N’allez pas plus avant. (À Lisardo.) Et vous, mon neveu, donnez l’exemple.