Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
JOURNÉE I, SCÈNE I.

lisardo.

Et moi je dis que c’est la jalousie.

libia.

Et moi, l’absence.

frédéric.

Et moi, l’amour sans espoir.

la duchesse.

Et moi, d’aimer et de taire sa souffrance, sans pouvoir s’expliquer.

laura.

Et moi, d’aimer en étant aimé.

la duchesse.

Ce sera une thèse assez neuve à soutenir, Laura, que c’est un mal d’aimer en étant payé de retour.

laura.

J’espère le démontrer tout à l’heure.

arnesto.

Maintenant, que chacun prouve ce qu’il a avancé.

henri.

Puisque j’ai parlé le premier, en parlant de la peine de celui qui est dédaigné, je commence.

fabio, à part.

Attention ! c’est ici que le plus spirituel dit des bêtises.

henri.

L’amour est une étoile dont l’influence donne le bonheur ou le malheur, donc la plus grande peine de l’amour c’est d’aimer malgré elle. Celui qui vit dédaigné d’une beauté aime à l’encontre de son étoile, donc ce doit être là le plus grand chagrin, car celui qui est dédaigné aime malgré la volonté du ciel.

flora.

Lorsqu’un amant est dédaigné, cela lui devient un mérite pour l’avenir, car il souffre pour ce qu’il aime. Mais celui qui dédaigne sans aimer souffre sans mériter que sa souffrance lui soit comptée comme mérite. Donc celui qui est dédaigné n’est pas aussi à plaindre que celui qui dédaigne.

lisardo.

Celui qui est dédaigné et celui qui dédaigne peuvent du moins supporter un mal qui leur vient du ciel ; mais celui qui a de la jalousie ne le peut pas, puisque ce mal lui vient d’un plus heureux qu’il envie. Donc son chagrin doit être bien plus grand, car la même différence qu’il y a d’un homme au ciel existe entre les deux premiers et le jaloux.

libia.

Le monde a vu mille fois l’amour excité et réveillé par la jalousie, mais non pas par l’absence. L’absence a été nommée la mort de l’amour. Donc elle est sa peine la plus forte ; car si la jalousie ra-