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LE SECRET À HAUTE VOIX.

henri.

Il est vrai que l’amour a fait tout mon crime, et lui seul est cause que je suis venu.

la duchesse.

Autant pour vous-même que pour le duc, je vous offre ma protection à Parme, et ainsi, à compter d’aujourd’hui, vous pouvez demeurer en ma cour. Dans un moment je vais répondre au duc et lui envoyer ma lettre.

henri.

Que le ciel vous conserve, madame, durant une éternité de siècles ! et puissent les nobles vassaux du duc de Mantoue être assez heureux pour que bientôt…

la duchesse.

N’en dites pas davantage, et, je vous en avertis, faites attention, tout le temps que vous serez mon hôte, à ne pas me parler à ce sujet, à moins que je ne vous en parle moi-même.

henri.

Vous serez obéie.

la duchesse.

Et afin que vous puissiez dire au duc, quand vous lui écrirez, quels sont mes passe-temps, car vous devez avoir des instructions à cet égard, (aux Cavaliers.) asseyez-vous tous, mes seigneurs, tandis que le soleil, à demi caché derrière ces épais nuages, semble nous épier ; vous, mesdames, prenez place de ce côté, et vous, Arnesto, proposez une question[1].

Les Dames s’asseyent d’un côté, et de l’autre, les Cavaliers se tiennent debout.
arnesto.

Mes cheveux blancs me dispenseraient de me mêler à ce jeu ; mais je n’invoquerai pas cette excuse, heureux de contribuer à vos plaisirs. Voici donc la question : « Quelle est la plus grande peine dans l’amour ? »

la duchesse, à Henri.

À vous, répondez le premier.

henri.

Moi, madame ?

la duchesse.

Oui, c’est à vous, en votre qualité d’étranger.

henri.

Je dois à ce titre beaucoup d’honneur. Aussi pour tâcher de n’en être pas indigne, je me hâte de répondre, et je dis que la plus grande peine, celle que je souffre, c’est de n’être pas aimé.

flora.

Et moi je dis que c’est de n’aimer pas.

  1. Le jeu des Preguntas (questions, demandes) était fort à la mode. En lisant cette scène on verra en quoi elle consistait.