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JOURNÉE I, SCÈNE I.

frédéric et henri.

Oui.

fabio.

Eh bien, sachez que son mal vient…

frédéric.

Tu t’arrêtes !

henri.

Achève.

fabio.

Oui, son mal vient de ce qu’elle s’est amourachée de moi ; elle craint mon indifférence et n’ose pas se déclarer.

frédéric.

Imbécile ! va-t’en.

henri.

Laisse nous, maraud.

fabio.

Eh bien, ma foi ! si ce n’est pas cela, ce sera autre chose.

henri.

Voilà que la compagnie revient de ce côté.

frédéric.

Alors retirez-vous, de grâce ; je voudrais me mêler à la compagnie pour qu’on ne s’aperçoive pas de mon absence. D’ailleurs je perds la vie si je perds l’occasion de parler à une de ces dames.

henri.

Je n’ai nullement l’intention de vous gêner, loin de là ; je vous laisse et je vais lui parler. Après avoir vu sa beauté merveilleuse, je suis curieux de jouir de son esprit. Le stratagème que nous avons imaginé cette nuit, et qui consiste à lui avoir écrit cette lettre en étant moi-même mon secrétaire, me sera un moyen de lui parler. Et maintenant que me voici près d’elle, je veux savoir enfin s’il est vrai que la fortune favorise l’audace.

Il sort.
frédéric.

Je suis dans un étrange embarras. Si je révèle qui est le duc, je trahis le secret qu’il m’a confié. Si je le tais, je trahis la foi que je dois à la duchesse, dont je suis le domestique, le vassal et le parent[1]. Que faire ?… Mais pourquoi hésiter ? mon devoir ne passe-t-il pas avant la confiance qu’il m’a témoignée ?… Et cependant, hélas ! si je perds la protection du duc, je perds en même temps tout espoir que sa maison soit le refuge de mon amour, aussitôt que Laura… Mais que dis je ? que ce mot retourne au fond de mon sein, car il me semble que je l’offense rien qu’à prononcer son nom.

fabio.

Seigneur, quel est donc cet hôte qui cette nuit nous est arrivé

  1. Au dix-septième siècle, en France comme en Espagne, les grands seigneurs avaient parfois de leurs parents dans leur domesticité.