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JOURNÉE III, SCÈNE I.

supposera ; et le jour nous descendrons ensemble, et nous irons sur le chemin demander notre subsistance aux laboureurs de ces contrées. Il va sans dire que nous n’userons pas de violence à leur égard, et que nous nous contenterons de prendre ce qu’ils nous donneront. C’est ainsi que nous devons vivre jusqu’à ce que la première ardeur de ces recherches étant affaiblie, nous puissions sans péril sortir d’ici et passer dans une autre province, où nous serons ignorés et à l’abri de nouvelles disgrâces, si toutefois il est sur la terre quelque endroit écarté où l’on puisse ne pas redouter les atteintes de la fortune ennemie.

manuel.

Ce n’est pas la première fois, mon vaillant Louis Perez, qu’un homme de courage a trouvé asile dans la maison de celui même qu’il avait tué ; et comme la justice ne l’y cherche pas, parce qu’elle ne présume pas qu’il ait pu s’y retirer, il reçoit la vie de celui à qui il a donné le trépas. Ainsi nous, dans cette montagne qui appartient en quelque sorte à nos ennemis, nous sommes en sûreté parce qu’ils ne viendront pas nous y chercher. Alors même qu’ils viendraient, nous pourrions leur résister ; nous ne craignons point d’y être enveloppés. De tous côtés nous sommes protégés par ces rochers énormes, par ces ondes pures, qui paraissent rivaliser ensemble lorsque le roc brille au soleil comme une onde étincelante, et que le fleuve, à son tour, réfléchit dans ses ondes les rochers, la verdure et les fleurs.

isabelle.

Je vous ai entendus, et, vive Dieu, je suis outrée de la manière méprisante avec laquelle vous avez parlé de nous, comme si vous n’étiez que deux pour combattre ! Non, mon frère, je suis à tes côtés, je te suivrai partout, et tu verras si mon bras ne produit pas comme le tien l’épouvante et la mort.

juana.

Et moi aussi, je ferai comme elle. J’ai parlé la dernière, mais je n’ai pas moins de courage, et je saurai braver tout aussi bien les périls et la mort.

louis.

Je vous remercie de vos offres généreuses, mais elles sont inutiles. Les femmes doivent toujours rester femmes, et nous suffisons à vous protéger. — Là-dessus, Manuel, allons ensemble jusqu’au chemin, où j’entends que nous nous procurions de quoi vivre. Vous deux, attendez-nous ici.

Ils sortent.
isabelle.

Fasse le ciel que vous reveniez si promptement, que la pensée elle-même ne puisse pas calculer la durée de votre absence !

Elles sortent.