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LOUIS PEREZ DE GALICE.

pedro.

J’arrive à l’instant, et je me flatte que je vais rentrer chez elle, car enfin cette maison a été jadis mon centre.

jean-baptiste.

Je voudrais m’expliquer, me justifier auprès d’elle. Si tu m’ouvres sa porte cette nuit, je m’engage à te faire cadeau d’un bel habit.

pedro.

Ma foi ! je ne risque rien, et je veux bien ; mais à une condition : c’est que vous frapperez légèrement. Moi, à ce signal, j’ouvrirai sans demander qui c’est ; vous, vous entrerez aussitôt, et comme cela, on ne pourra pas me soupçonner.

jean-baptiste.

À merveille ! et comme le soleil est sur la fin de sa course, je me retire. N’oublie pas ; à bientôt !

Il sort.
pedro.

Nous autres alcahuetes[1], nous ressemblons aux brelandiers. — Puisque nous y sommes, parlons un peu breland. — Alcahuetes et brelandiers exercent les uns et les autres la plus honorable profession. Les galants sont les joueurs, et l’on en voit à foison. Le joueur qui frappe des mains et des pieds, qui crie, qui fait tapage, c’est le galant jaloux, car la jalousie est toujours bruyante ; le galant qui se laisse tromper sans mot dire, c’est le joueur à contenance de ministre, qui entre, perd et paye sans témoigner de regrets, quoiqu’il n’en éprouve pas moins ; le joueur qui joue sur gages, c’est le galant novice, qui s’endette chez le marchand pour donner à sa maîtresse de belles robes et des bijoux ; le joueur qui fausse compagnie, c’est le galant habile qui, une fois trompé, se retire en disant : Bien sot est celui qui s’obstine à perdre ! le joueur qui joue sur parole, c’est le galant expérimenté qui promet, et qui ne paye que quand il tient ; le galant qui fait sa cour avec de l’éloquence et des vers, c’est le joueur fripon qui triche en jouant avec des cartes arrangées ; la galerie qui obsède les joueurs sans leur être d’aucun profit, c’est les voisins des galants, qui sans cesse les épient et les ennuient ; les cartes du jeu d’amour, ce sont les dames, et chacun sait avec quelle facilité elles se brouillent, et chacun sait de même que pour des cartes neuves on met volontiers sous le chandelier. Enfin, pour compléter la comparaison, jamais joueurs ni galants ne profitent de leur expérience ; ni les pertes, ni les menaces, ni même l’intervention de la justice n’y peuvent rien. C’est pourquoi je reviens bravement à mon ancien métier, et je vais, par mon industrie, tâcher de regagner

  1. L’alcahuete, dont il est souvent question joyeusement dans les comédies de Calderon, était

    Ce qu’à la cour on nomme ami du prince.