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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

anne.

Écoutez moi.

wolsey.

Parlez.

anne.

Fasse le Dieu tout-puissant, — si jamais je cherche à vous nuire quand une fois vous aurez mis la couronne sur ma tête et le sceptre à mes pieds, que ma grandeur, mon honneur, ma gloire se convertissent aussitôt en honte et en douleur, en ignominie et regrets, que j’aie le sort le plus déplorable ; que je meure dans la disgrâce de mon époux, par la main du bourreau ! — Voilà le serment par lequel je me lie à vous.

wolsey.

Je suis satisfait. Et afin que vous preniez confiance en moi, et que nous commencions sans retard à marcher vers notre but, écoutez ce à quoi j’ai pensé. (À part.) C’est la scélératesse la plus noire que jamais homme mortel ait imaginée, et que le soleil ait vue dans aucun âge. (Haut.) Vous ne l’ignorez pas, le roi vous aime ; il se meurt affolé de vos charmes. Vous savez aussi que Henri est un homme aux passions vives et emportées ; et qu’une fois qu’il a conçu une idée, rien ne peut faire obstacle à ses désirs. — Eh bien, cela étant, savez-vous quel doit être, à vous, votre personnage ? Vous devez feindre d’être également éprise de lui, mais que votre réputation, votre honneur vous empêchent de l’écouter… à moins que vous ne soyez son épouse. — Ensuite moi je viendrai exciter sa passion, et je le conduirai de telle sorte, que nous arriverons bientôt où nous voulons aller.

anne.

Je pensais que nous allions voir quelques prodiges. Car pourquoi me demander de feindre à moi femme, à moi Anne de Boleyn ?… cela m’était trop facile, j’aurais employé la feinte rien qu’en ma qualité de femme et quand même ce n’eût pas été pour obtenir le titre de reine.

wolsey.

Voici le roi qui vient.

Il sort.
anne.

Charles ! pardonne si je trahis ainsi ton amour, séduite par l’éclat d’une couronne. Je suis femme, et l’intérêt m’a vaincue. Je suis femme, je change et j’oublie.


Entre LE ROI.
le roi.

Ah ! ce n’est pas en vain que mon âme, soupirant après vous, m’a conduit vers ces lieux. Mon amour, comme la flamme, voulait aller vers son centre. Ah ! beauté enchanteresse, n’est-ce pas encore un des miracles de l’amour que cette passion irrésistible qui vous a