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JOURNÉE II, SCÈNE I.

de mon appartement et pénétrai jusque dans une chambre où je le trouvai enveloppé de son manteau jusqu’aux yeux. Aussitôt : « Cavalier, lui dis-je résolument, cette maison appartient à un brave gentilhomme qui m’a confié son honneur, et dès lors je dois châtier tant d’audace. » Et disant cela, je le poussai avec vigueur ; mais le traître sauta par la fenêtre. M’étant élancé après lui, je trouvai dans le chemin deux hommes qui faisaient pour lui le guet. Décidé à le tuer, je les attaquai tous trois. Je tuai l’un, blessai l’autre ; Jean-Baptiste s’échappa. Je vous laisse à juger ma situation. J’étais étranger, inconnu dans le pays, j’avais avec moi une femme ; que pouvais-je faire, sinon fuir devant tant de peines accumulées ? Si j’ai eu tort, du moins mon intention a été irréprochable. Je me suis demandé ce que vous-même eussiez fait en pareille occurrence, et, j’en atteste le ciel, j’ai cru agir comme vous auriez agi à ma place.

louis.

Vous dites vrai : car, certes, si j’avais trouvé dans ma maison un tel homme, j’aurais cherché à le tuer, j’aurais cherché à tuer tous ceux qui auraient pu lui prêter secours : vous avez donc fait ce que j’aurais fait moi-même. Il avait raison celui qui a dit que le cœur d’un ami était un miroir : je me vois en vous. Mais, comme vous le savez, quand on se regarde dans un miroir, on voit dans sa main droite ce que l’on tient dans sa main gauche ; et c’est ainsi que je vois l’événement qui fait notre malheur à tous deux : je trouve à la fois en vous mon honneur et mon offense ; car l’honneur vu en sens contraire ne peut être que l’outrage. Maintenant, adieu mes projets de guerre ! j’y renonce, et je retourne à Salvatierra. Ce serait perdre mon honneur que de le laisser ainsi exposé.


Entre DON ALONZO.
don alonzo.

Que faites-vous donc là, Louis Perez ?

louis.

Si vous avez trouvé en moi quelque chose qui ait mérité votre bienveillance, je vous supplie de la reporter en mon absence sur mon ami Manuel. Disposez de mon grade en sa faveur. Pour moi, un événement fâcheux me force à retourner à Salvatierra.

don alonzo.

Songez donc…

louis.

J’ai pris la résolution que devait prendre un homme offensé.

don alonzo.

Mon amitié voulait vous dissuader de cette démarche ; mais vous vous dites offensé, je me tais. Au contraire, maintenant, c’est moi qui vous presserai de retourner à Salvatierra pour venger votre outrage. Mais, Louis Perez, c’est à une condition.