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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

c’est, — quand je me trouve près de vous, ou que vous cessiez de me haïr, ou que je cesse de vous aimer. Vous et moi, sans espoir nous aimons et nous haïssons ; et puisqu’un Dieu nous condamne à un pareil tourment, nous sommes — dans un enfer tous deux.

Avec le suc d’un élégant œillet dont les couleurs réjouissent la vue, la difforme araignée compose son venin, et la douce abeille distille son miel. Ainsi chacune d’elles suit l’instinct qui la guide. Nous de même, en obéissant chacun à nos sentiments, — nous devons trouver le bonheur.

Si vous, seulement pour satisfaire votre haine vous ne cessez de me témoigner vos mépris, je puis aisément vous punir ; car il suffit à ma vengeance de ne cesser point de vous aimer. De la sorte nous sommes également punis, moi de votre amour, vous de votre dédain ; moi en voyant que vous me détestez, — vous en me voyant souffrir.

En vain j’espère que vous pourrez changer ; mon tourment est intolérable ; car vous savez que je vous aime, et moi je sais que vous me haïssez. Mais l’amour, divinité puissante, nous châtiera, moi de ma folle tendresse, vous d’un injuste dédain ; et nous serons tous deux punis, — vous, en voyant la souffrance que vous causez, — moi en vous voyant témoin de ma souffrance.

le roi.

Ces vers sont fort bien.

pasquin.

Ce n’est pas mon avis. Tout au plus si je les trouve passables.

l’infante.

Quels défauts y trouvez-vous donc ?

pasquin.

Je suis poëte, et en fait de vers je n’aime que les miens. Le reste ne vaut pas le diable.

l’infante.

Maintenant Anne de Boleyn devrait danser.

anne.

J’y consens, puisque tel est votre désir.

le roi.

Amour, dissimulons.

pasquin.

Que va-t-on jouer ?

anne.

Une brillante[1].

Après avoir dansé un moment, Anne de Boleyn tombe aux pieds du roi.
  1. Anne dit : la Gallarda (la Gaillarde). Le mot espagnol gallardo signifie beau, élégant, brillant, et par conséquent, on a fort mal traduit le mot Gallarda à l’époque où cette danse fut introduite en France. Je soupçonne qu’on se sera contenté de franciser le mot espagnol. Quoi qu’il en soit, les personnes de goût comprendront sans peine les motifs particuliers qui nous ont décidé à rétablir le véritable sens de ce mot.