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LOUIS PEREZ DE GALICE.

me sauvera. Puisque vous me chassez des pays étrangers, je vais retourner dans ma patrie, et ainsi vous ne me verrez plus.

Il sort.
louis.

Nous sommes seuls enfin, et puisque vous voulez d’abord que je vous dise l’aventure qui m’a fait venir ici, — vous saurez que je me réfugiai en Portugal ; mais qu’en sortant du Miño je me trouvai dans un péril plus grand que celui que je fuyais. La terre où nous abordâmes appartenant à l’amiral de Portugal, nous eûmes recours à sa protection, qu’il nous accorda aussitôt : mais ayant appris quel était l’adversaire que don Alonzo avait tué, — c’était son neveu, — sa générosité se changea en fureur, et il nous chassa de ses terres. Il serait trop long de vous conter tout ce qui nous arriva. Enfin, nous sommes arrivés à San-Lucar, où le duc[1] nous a fait le meilleur accueil ; et comme il est capitaine général de l’armée que le roi envoie contre l’Angleterre, dans sa générosité il a donné une compagnie à don Alonzo, et celui ci m’a donné à moi l’étendard, de sorte que me voilà enseigne. Vous savez maintenant, Manuel, tout ce qui me regarde. À votre tour, parlez, parlez, vive Dieu ! Jusqu’à ce que je vous aie entendu, mon âme ne tient qu’à un fil.

manuel.

Au moment où vous veniez de vous précipiter dans le fleuve, la justice arriva ; et désespérant de se venger, elle revint honteuse à Salvatierra. Moi, j’allai dans votre maison, et j’y reçus une hospitalité que ma reconnaissance n’oubliera jamais. — Maintenant, j’hésite à vous raconter ce qu’il faut cependant que vous sachiez… Je ne sais comment vous le dire, et je ne puis vous le taire. Bref, rappelez-vous, mon cher Louis, qu’en vous séparant de moi, vous me priâtes avec de tristes exclamations de veiller à votre honneur, puisque j’allais demeurer dans votre maison. Eh bien, un mot vous dira tout : j’ai été obligé de fuir et de venir ici parce que j’ai veillé à votre honneur.

louis.

Manuel, je vous en supplie, expliquez-vous. Chacune de vos paroles est comme un serpent qui me déchire le cœur. Vous ne vous figurez pas ce que je souffre. Parlez, de grâce.

manuel.

Jean-Baptiste, un riche cultivateur, épris de votre charmante sœur, lui rendait publiquement des soins. Son audace arriva au point qu’une nuit il escalada votre maison.

louis.

Ô ciel !

manuel.

Moi qui veillais sans cesse avec la plus grande attention, je sortis

  1. Le duc de Médina-Celi.