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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

coup, éclipsé par la lune jalouse, s’est montré à vos yeux comme tâché de sang ?… Eh bien, si rien de tout cela ne vous est apparu, que voulez-vous augurer, sire, de ce que je vous ai donné une lettre pour une autre, ou de ce que vous même les avez mal interprétées ?

le roi.

Vos paroles, Wolsey, ont le pouvoir de me consoler, et maintenant j’interprète en ma faveur l’heureuse erreur que j’ai commise. Oui ! le souverain pontife étant la base inébranlable et le fondement de la foi, il a dû se placer sous mes pieds. Il est la pierre angulaire et moi je ne suis que la colonne. Et dès lors il convient qu’il me serve de support, pour que moi-même je ne fléchisse pas sous le poids de ce monstre sauvage qui, porté sur les ailes du vent, remplit aujourd’hui le monde d’un vain bruit. Ainsi les deux choses sont allées chacune à leur centre, l’une à terre comme une pierre solide, — et l’autre en l’air comme la flamme ou la fumée… Vous seul excepté, que personne n’entre aujourd’hui chez moi. Je veux écrire à Léon X et à Luther.

wolsey.

Je vous baise les pieds.

le roi, à part.

Je me sens accablé de tristesse.

Il sort.
wolsey.

Pour un homme d’une humble et basse naissance, je me suis bien élevé déjà, et je monte peu à peu au faîte de ma fortune. Pour atteindre au sommet des grandeurs je n’ai plus qu’un échelon à franchir. Ambition, donne moi la main… Flatterie, seconde-moi… Si vous voulez bien m’aider l’une et l’autre, quelque jour, j’espère, on me verra m’asseoir, fier et superbe, sur le siége de saint Pierre. — Moi, Thomas Wolsey, j’étais un pauvre étudiant, issu de parents obscurs ; un astrologue me dit de m’attacher au roi, et que par ce moyen j’arriverais si haut que tous mes désirs seraient comblés. Jusqu’ici les promesses de l’astrologie n’ont pas été accomplies ; car bien que je sois parvenu aux plus hautes dignités, il me reste à désirer tant que je n’aurai point placé la tiare sur ma tête… Il me fut prédit aussi qu’une femme serait cause de ma perte. Mais si maintenant je vois tous les rois concourir à ma grandeur, en quoi donc une femme pourrait-elle me nuire ?… Je suis cardinal et légat, le roi Henri VIII me protége, François Ier, roi de France, et Charles-Quint, empereur d’Allemagne, se disputent mon amitié ; — car chacun d’eux sollicite contre l’autre l’alliance de Henri, lequel n’agit que par mes conseils… Je le déciderai en faveur de celui qui me fera parvenir au pontificat suprême.