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NOTICE.

Seulement la comédie embrasse une période de temps beaucoup moins considérable, puisque Henri VIII y reconnaît sa fille Marie pour son héritière, immédiatement après le supplice d’Anne de Boleyn, en 1536.

Si le poëte ne s’est pas scrupuleusement attaché à reproduire les réalités de l’histoire, il en a, selon nous, exprimé le caractère et l’esprit avec beaucoup de force et de profondeur. Sur le continent, la réforme, partie des rangs inférieurs de la société, avait été une protestation contre les abus de la cour de Rome, dénoncés déjà dans les siècles précédents par les premiers écrivains de l’Italie. En Angleterre, elle a cela de particulier, qu’elle est l’œuvre du monarque et des grands pouvoirs de l’État, et qu’elle a pour point de départ le caprice d’un roi débauché. Voilà ce que le poëte espagnol nous semble avoir admirablement saisi, et ce qu’il nous fait voir sous les plus vives couleurs.

Quoiqu’en général le talent caractéristique ne soit pas la qualité dominante des dramatistes espagnols, ici plusieurs caractères nous paraissent tracés de manière à mériter l’attention du lecteur. — Le Henri VIII de Calderon est bien le Barbe-Bleue couronné, le théologien voluptueux qui chassait ou faisait décapiter ses femmes, pour pouvoir se remarier en sûreté de conscience. — Son Wolsey est bien le ministre ambitieux, cupide et avare, insolent dans la prospérité et sans courage dans la disgrâce. — Chez Catherine s’allient heureusement la résignation de la femme vertueuse et la fierté d’une Espagnole. — Quelques paroles prononcées par Marie laissent entrevoir la princesse qui s’efforcera d’opérer par des moyens violents une réaction catholique. — Mais selon nous, le personnage dans la peinture duquel Calderon a mis le plus de génie, c’est celui d’Anne de Boleyn. La plupart des historiens, touchés sans doute de la destinée de cette femme, qui avait péri d’une mort affreuse dans la fleur de l’âge et de la beauté, témoignent pour elle une grande sympathie, et nous la représentent comme une espèce de martyre. Aux yeux du poëte espagnol, Anne est une femme impie, dont le trépas funeste n’a été que trop mérité : il nous la montre secrètement dévouée aux erreurs de Luther, vaine, hautaine, — déjà flétrie avant son mariage, et, mariée, prête à former de nouveau avec son premier amant une liaison adultère ; comme si, en l’avilissant ainsi, il eût eu l’espoir d’avilir en même temps le schisme même qu’elle avait contribué à faire naître. — Cela est cruel ; peut-être même cela est-il injuste ; mais au point de vue espagnol et catholique, cette conception nous semble au-dessus de tout éloge.

Dans la composition, dont on remarquera sûrement l’unité, la logique et la grandeur, on trouve à la dernière scène un détail qui pourra choquer les esprits délicats : c’est le cadavre d’Anne de Boleyn, placé en guise de carreau au pied du trône sur lequel vont s’asseoir le roi Henri VIII et Marie. Cette imagination, toute bizarre et révoltante qu’elle peut paraître au premier abord, ne s’explique-t-elle pas par ce que nous avons déjà dit des sentiments qui animaient le poëte en composant son drame ? Ne serait-ce pas qu’il aurait voulu par là infliger un dernier châtiment à cette femme, cause première du schisme, en l’exposant aux regards comme un objet d’horreur ? et indiquer par un symbole, que Marie, une fois montée sur le trône, devait, pour ainsi dire, écraser et fouler aux pieds l’hérésie ? Nous soumettons cette idée au jugement du lecteur.

Avant Calderon, Shakspeare avait également mis en drame une partie du règne de Henri VIII. Il ne serait pas sans intérêt, ce nous semble, de comparer les ouvrages des deux grands poëtes, placés à des points de vue si différents ; mais l’espace nous manque pour un travail de ce genre, et nous le laissons à des critiques plus habiles.