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LE PRINCE CONSTANT.

le roi.

N’ajoute pas un mot.

muley.

Quoi ! vous refusez de m’entendre

le roi.

Il suffit pour m’offenser qu’on prononce le nom de Fernand.

muley.

Et comment, seigneur ?

le roi.

Me parler en sa faveur c’est me mettre dans l’impossibilité de faire ce que tu me demandes.

muley.

Vous m’aviez confié sa garde ; ne dois-je pas dès lors vous rendre compte de sa personne ?

le roi.

Parle donc, mais n’attends de moi aucune pitié.

muley.

Fernand a vu remplacer sa gloire par une telle misère, que l’univers, connaissant votre sévérité, ou plutôt votre puissance, le nomme le prodige de l’infortune. Sa constance l’a conduit à l’état le plus déplorable ; et jeté dans un lieu dont je n’ose prononcer le nom devant vous, pauvre, malade, paralysé, il demande l’aumône aux passants. Vous avez ordonné qu’il dormit dans les cachots, qu’il travaillât dans les bagnes et dans vos écuries ; vous avez défendu qu’on lui donnât à manger ; et comme il était déjà d’une constitution délicate, toutes ces souffrances lui ont à la fin ôté l’usage de ses membres, et ont détruit jusqu’à la noblesse et à la majesté de son aspect. Cependant, toujours fidèle à sa foi, il passe la nuit dans des cachots humides ; et lorsque le soleil ramène le jour, d’autres captifs le portent sur une misérable natte en quelque endroit où il puisse jouir de ses rayons. Mais sa présence offense tellement tous les sens, que personne ne peut le souffrir près de sa demeure, que chacun le chasse à l’envi, et qu’on en est venu au point de ne vouloir ni lui parler, ni l’écouter, ni le plaindre. Il n’a pour toute consolation qu’un loyal chevalier et un seul domestique, qui ne le quittent pas et partagent avec lui la faible portion d’aliments qu’on leur distribue. Encore la pitié qu’ils montrent à leur maître leur attire-t-elle les mauvais traitements de vos gardes. Mais il n’est point de rigueur ni de cruauté qui les puissent éloigner de lui ; et pendant que l’un va lui chercher des vivres, l’autre reste auprès de l’infant pour le consoler dans ses peines. Daignez, seigneur, daignez enfin mettre un terme à tant de rigueur, et si vous n’avez pour le prince ni larmes ni pitié, que l’horreur et le dégoût de son état puissent émouvoir votre cœur !

le roi.

C’est bien, Muley.