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JOURNÉE II, SCÈNE I.

manuel.

Je ne le nie point ; mais, vois-tu, Pedro, l’homme ne saurait résister au destin. Obligé de quitter le Portugal, j’ai fui d’abord en Galice, et de là en Andalousie où nous sommes. Telle a été la volonté du ciel. Encore ne puis-je rester ici ; car, même ici, je ne suis pas en sûreté. Je veux servir ; je veux, me confiant à la mer inconstante, me rendre aux îles du nord : là, s’il plaît à Dieu, la bannière catholique flottera bientôt sur les tours dorées de leurs forteresses[1]. Oui, je veux m’enrôler : quels que soient les périls de la guerre, je sens que j’aurai moins à craindre sous l’habit de soldat. Mais ne crois pas que je veuille laisser cette dame sous le poids d’un outrage infâme ; ne crois pas que j’expose par mon absence son honneur et sa beauté. Non, non, je la laisserai en sûreté dans un couvent de San-Lucar, et je donnerai le peu qui me reste pour pourvoir à ses besoins jusqu’à mon retour. Quant à moi, mon épée me suffit.

On entend le tambour.
pedro.

Je reconnais là votre générosité. Mais quel est ce bruit de tambour ?

manuel.

Il y a sans doute dans ces environs quelque poste qu’on relève.

pedro.

Vous avez raison ; je vois l’étendard.

manuel.

Approchons-nous… Et puisque c’est le premier qui s’offre à moi, c’est sous celui là que je veux m’enrôler. Va, va vers l’enseigne, et dis-lui que deux hommes désirent s’enrôler dans sa compagnie.

Il s’éloigne.


Entre LOUIS PEREZ avec DES SOLDATS.
pedro.

Celui qui vient là m’en donnera des nouvelles. — Seigneur soldat, pourriez-vous, s’il vous plaît, dire à un étranger quel est l’enseigne de la compagnie ?

premier soldat.

Le voilà. C’est celui qui porte un baudrier rouge.

pedro.

Quoi ! cet homme de belle prestance, qui nous tourne le dos en ce moment ?

premier soldat.

Lui même.

louis.

Regardez-moi toujours, soldats, comme votre camarade et votre ami.

  1. Il y a évidemment une allusion à l’expédition de la fameuse Armada. C’est ce passage qui nous a permis, dans la notice, de fixer la date de l’action.