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LE PRINCE CONSTANT.

muley.

Quel est votre dessein ?

le roi.

Le voici. Je veux dompter l’orgueil de Fernand, et le mettre dans un tel état, que lui-même soit forcé de me rendre Ceuta… Puis, je te le confie, mon cher Muley, je commence à craindre que la personne du grand maître ne soit pas à l’abri de quelque tentative audacieuse. Les captifs qui le voient dans cette misère ont pitié de lui, et je crains qu’à cause de lui ils ne se soulèvent… D’ailleurs l’intérêt a toujours été puissant sur les cœurs, et avec de l’or il lui serait facile de corrompre ses gardiens.

muley, à part.

Afin de lui ôter tout soupçon, je dois en ce moment me montrer de son avis. (Haut.) Vous avez raison, seigneur ; on doit s’occuper de sa délivrance.

le roi.

Je ne vois qu’un moyen d’empêcher qu’on ne fasse cette insulte à mon pouvoir.

muley.

Et c’est…

le roi.

De te confier la garde de Fernand… Oui, qu’il reste à ta charge ; car tu es au-dessus de l’intérêt et de la crainte. — Songe à l’acquitter de ton devoir, parce qu’en toute occasion c’est à toi que j’en demanderai compte.

Il sort.
muley.

Sans aucun doute le roi avait entendu nos projets. — Qu’Allah me soit en aide !


Entre FERNAND.
don fernand.

Vous paraissez triste ?

muley.

Avez-vous entendu ?

don fernand.

Parfaitement.

muley.

Pourquoi donc vous étonner de ma tristesse ? Ne me voyez-vous pas au milieu de ces devoirs contraires, flottant, incertain, irrésolu, entre mon ami et mon roi, entre l’amitié et l’honneur ?… Si je lui suis fidèle, je suis ingrat envers vous ; si je vous garde ma foi, c’est lui que je trahis… Que faire ? Ô ciel ! protège moi. Au moment même où j’allais lui rendre la liberté, le roi me le confie et le remet à ma garde… Quel parti prendre si nos projets sont pénétrés ? Fernand, je m’adresse à vous ; conseillez-moi, dictez-moi ma conduite.