Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
LOUIS PEREZ DE GALICE.

juana.

En effet, malheurs et chagrins semblent toujours s’appeler les uns les autres.

manuel.

Hélas ! Juana, combien je suis affligé de te voir courir ainsi tristement les pays étrangers ! Je me flattais que la Galice nous servirait de port dans cette affreuse tempète où nous avons failli périr, et nous y avons trouvé de nouvelles tourmentes. Une autre aventure nous a chassés de Salvatierra, et nous a forcés de nous réfugier en Andalousie à travers des lieux qui nous sont inconnus.

juana.

Lorsque j’ai quitté pour toi mon pays et ma famille, cher Manuel, je m’attendais à tous les malheurs. Je n’ai pas quitté le Portugal pour aller vivre dans telle ou telle contrée, mais seulement pour vivre avec toi. Qu’il en soit ainsi partout où mon malheur me conduira, — partout où m’appellera mon bonheur.

manuel.

Par quelles actions, par quelles paroles pourrai-je te témoigner jamais ma reconnaissance ? Mais pour laisser un moment ce sujet qui m’est si doux, qu’est donc devenu ce domestique que nous avons pris en chemin ? Je voudrais l’emmener avec moi à San-Lucar, afin de t’aller chercher quelque nourriture, pendant que le sommeil accorde à la fatigue une trêve d’un moment.


Entre PEDRO.
juana.

Le voilà qui arrive.

pedro.

Que m’ordonnez vous, seigneur ?

manuel.

Accompagne-moi à San-Lucar. — Vous, mon bien, retirez-vous en un lieu où vous puissiez vous reposer.

juana.

Je ne cherche pas le repos… Je veux pleurer pendant votre absence.

Elle sort.
manuel.

Dans un moment je reviens. — (À Pedro.) Il semble qu’elle ait pressenti le chagrin que je vais lui donner, et que son cœur en souffre par avance.

pedro.

Quoi ! seigneur, vous pensez à donner du chagrin à une femme aussi aimable, aussi tendre, aussi dévouée ? Il y a bien peu de temps, il est vrai, que je suis à votre service, et il n’y a guère que deux ou trois jours que vous me témoignez un peu de confiance ; mais pourtant j’en ai vu assez pour savoir combien cette dame vous est attachée et tout ce que vous lui devez de reconnaissance.