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JOURNÉE II, SCÈNE I.

leur faire le moindre présent… Ah ! que ne puis-je les secourir !… quelle douleur pou moi !


Entre MULEY.
muley.

J’admirais, seigneur, la douceur et la bonté avec laquelle vous traitiez ces malheureux.

don fernand.

J’ai pitié de leur infortune, et j’apprends de leurs souffrances à supporter à mon tour le malheur. Quelque jour peut-être aurai-je besoin de me rappeler ces leçons.

muley.

Que dit votre altesse ?

don fernand.

Quoique né infant de Portugal, je suis devenu esclave ; je pourrais donc descendre encore à un plus misérable état. Il y a plus de distance d’un infant à un captif que d’un captif à un autre infortuné. Chaque jour appelle celui qui le suit, et fait ainsi succéder des pleurs à des pleurs, des peines à des peines.

muley.

Plût au ciel que mes chagrins ne fussent pas plus grands que ceux de votre altesse ! Aujourd’hui, il est vrai, vous êtes captif ; mais demain vous pouvez revoir votre patrie. Tandis que moi, je n’ai point d’espérance, et la fortune, malgré son inconstance habituelle, ne me présente que le plus triste avenir.

don fernand.

Depuis que je me trouve à la cour du roi de Fez, vous ne m’avez plus rien dit de vos amours dont vous m’aviez parlé.

muley.

Soigneux à cacher les faveurs que j’ai reçues, j’ai promis de ne jamais nommer celle que j’aime ; mais fidèle à l’amitié, je vous dirai mes secrets sans manquer à mes serments. Mon malheur est unique comme ma tendresse, car, comme le phénix, ma passion n’a rien qui l’égale. Faut-il voir, entendre et me taire, c’est un phénix que ma patience. Faut-il aimer, souffrir et craindre, c’est un phénix que ma peine. Faut-il désespérer dans mes ennuis, c’est un phénix que mon peu de confiance. Faut-il mériter et attendre, c’est un phénix que mon espoir. Tout dans mon amour rappelle le phénix… Adieu ; ce que j’ai dû vous taire comme amant, comme ami je vous l’ai déclaré.

Il sort.
don fernand.

Il a dit avec autant d’adresse que de loyauté le nom de l’objet qu’il aime ; et si sa peine est un phénix, la mienne ne peut entrer en comparaison. Mon malheur est celui de bien d’autres. Beaucoup ont enduré des chagrins égaux ou supérieurs aux miens.