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LE PRINCE CONSTANT.

muley.

Le sens de cet oracle se découvre aisément. Il n’est que l’expression de mes peines : vous devez donner la main d’épouse à Tarudant ; mais moi, je meurs seulement d’y penser, et avant que vous ayez écouté son amour, la douleur aura terminé ma vie. — Je puis vous perdre, il est vrai, mais je ne saurais survivre à ce malheur. Si donc je dois mourir avant de voir le triomphe de mon rival, ma vie sera le prix auquel il vous aura obtenue, et vous, au milieu de ces disgrâces, vous serez le prix d’un cadavre, puisque vous m’aurez tué d’amour, de regret et de jalousie.

Ils sortent.


Entrent DON FERNAND et plusieurs Captifs.
premier captif.

De ce jardin, où nous sommes à travailler, nous vous avons vu, seigneur, aller à la chasse, et nous venons tous ensemble nous jeter à vos pieds.

deuxième captif.

C’est la seule consolation que le ciel nous accorde.

troisième captif.

Et nous lui en rendons grâces.

don fernand.

Embrassez-moi, mes amis. Dieu le sait, je voudrais pouvoir, au lieu de vous étreindre, — rompre les liens qui vous enchaînent, et, je vous l’assure, vous seriez libres avant moi !… Mais recevez votre sort présent comme un bienfait du ciel ; il deviendra plus tolérable. La sagesse peut triompher du malheur le plus opiniâtre. Souffrez patiemment les rigueurs de la fortune. Cette déité changeante, — aujourd’hui fleur, demain cadavre, — ne demeure jamais en un même état, et elle modifiera le vôtre. Hélas ! il est bien pénible de ne pouvoir donner aux malheureux que des conseils ; mais malgré le désir que j’aurais de vous donner quelques présents, je n’ai maintenant rien à vous offrir : pardonnez, mes amis. J’attends des secours de Portugal ; ils arriveront bientôt ; mes biens seront pour vous, car c’est pour vous que je les attends. Si l’on vient me délivrer de la captivité, je vous emmène tous avec moi. Adieu ; allez travailler ; ne mécontentez pas les maîtres que Dieu vous a donnés.

premier captif.

Seigneur, dans notre esclavage nous nous réjouissons de vous voir sain et sauf.

deuxième captif.

Puisse le ciel, seigneur, vous donner une vie aussi longue que celle du phénix !

Ils sortent.
don fernand.

Mon âme est confondue en les voyant s’éloigner sans que j’aie pu