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JOURNÉE I, SCÈNE III.

don alonzo.

Vous seul, seigneur, pouvez me sauver

l’amiral.

Qui êtes-vous ? Votre malheur m’a touché, et vous pouvez vous confier à moi.

don alonzo.

Veuillez d’abord, pour ma règle, m’apprendre à qui je parle, et vous saurez ensuite pourquoi je me trouve en cet état.

l’amiral.

Eh bien ! je suis l’amiral de Portugal. — Maintenant vous pouvez vous déclarer. Je suis tellement affecté de votre sort, que d’avance je vous promets ma protection ; et comme gage, voilà ma main.

don alonzo.

J’accepte vos bontés. Vous saurez donc, monseigneur, que je suis de la maison des Tordoyas, famille qui jouit d’une grande considération en ce pays. Don Alonzo est mon nom. Ce matin, jaloux d’un cavalier, je suis entré chez une dame, où je l’ai trouvé ; je lui ai dit que je l’attendais hors de la ville ; il y est venu comme il convenait à un gentilhomme tel que lui, avec la cape et l’épée ; nous nous sommes battus, et après avoir reçu deux blessures il est tombé à terre sans vie. C’est un malheur que je déplore. — Cependant tout le village était en émoi, et la justice est sortie à ma poursuite. On voulait m’arrêter. Je me suis échappé sur un cheval à qui ma crainte prêtait des ailes : on l’a tué d’un coup d’arquebuse. Alors j’ai continué de fuir à pied, et je suis arrivé à une maison de campagne, où pour mon bonheur j’ai trouvé Louis Perez…

louis.

À mon tour ; c’est à moi d’achever l’histoire. Voyant don Alonzo poursuivi par tant de monde, et avec un tel acharnement, je lui ai offert de protéger sa retraite. Cette maison de plaisance — je ferais mieux de l’appeler une maison de chagrin, — est située au bas de la montagne, et le défilé y est tellement rétréci, qu’il fallait que tout ces gens-là y passassent devant moi. Je voulus d’abord à l’amiable, par des politesses, par des prières, obtenir du corrégidor qu’il cessât de poursuivre don Alonzo ; il s’y refusa avec hauteur, s’obstina à marcher en avant, et il aurait en effet continué sa marche, si je ne m’y fusse opposé, en frappant, vive Dieu ! avec cette épée, d’estoc et de taille. Elle m’a si bien servi dans la bagarre que j’en ai blessé, je crois, quatre ou cinq ; plaise à Dieu qu’ils en guérissent ! Dès lors, me voyant plus compromis encore que don Alonzo, j’ai mieux aimé me fier à mes jambes qu’aux prières des autres[1], et

  1. Pretendi que me valiesse
    Antes el salto de mata
    Que ruego de buenos.

    Allusion au proverbe espagnol, Mieux vaut saut de haie qu’intercession d’honnêtes gens.