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LES TROIS CHÂTIMENTS EN UN SEUL.

et qui, par conséquent, veut que tout lui soit demandé… Je passe sous silence, sire, les ennuis domestiques dont Lope et moi fûmes affligés, et je viens à vous dire, sans plus de discours, que j’avais une sœur cadette que je fis demeurer dans notre maison afin d’avoir une compagne, une confidente et une consolation dans mes chagrins. Or, de cette sœur s’éprit un cavalier dont vous me permettrez de vous taire le nom si j’ai trouvé grâce devant vous ; car ce point n’est d’aucune importance pour la vérité que je vous dois, et ce pourrait être pour vous un sujet d’ennui… Mais que dis-je ? Mon honneur exige, au contraire, que je ne laisse, dans mon récit, rien d’obscur, rien qui puisse prêter au soupçon… Don Mendo Torrellas est le cavalier qui devint épris de ma sœur, et comme il vit ses hommages repoussés, il chercha et trouva le moyen de s’introduire de nuit auprès d’elle, lui promit de l’épouser, en prenant le ciel à témoin de sa promesse, et l’abusa par ce serment… Depuis il en a épousé une autre, car il n’est point d’homme qui n’écoute plutôt son penchant et son plaisir que la voix du devoir ; et peu de temps après, le roi votre père l’envoya en France en qualité d’ambassadeur ; de sorte qu’ayant été jusqu’ici absent de Saragosse, il ignore complètement ce qu’il me reste à vous exposer. — M’étant aperçue que la santé de ma sœur s’était altérée, et qu’elle était en proie à un continuel chagrin, je fis tant par mes prières, par mes caresses, par mes larmes, qu’à la fin elle m’avoua ce que je vous ai dit, en ajoutant qu’elle portait dans son sein un triste et malheureux fruit de sa faute. En apprenant cela, sire, je fus affligée d’avoir un reproche à adresser à celle en qui je cherchais des consolations ; mais je sentis qu’elle était ma sœur, et d’ailleurs quand le mal est fait le reproche est inutile. « Que le ciel me protège ! » m’écriai-je mille et mille fois. « Comment, hélas ! un motif de même nature nous rend-il l’une et l’autre malheureuse ? Hélas ! ce qui serait pour moi le plus grand des biens n’est pour toi qu’un sujet de douleur ! » Et partant de là et y revenant sans cesse, mon esprit s’exalta, et j’imaginai un moyen de mettre un terme à nos peines mutuelles et de sauver son honneur ; ce fut de cacher de mon mieux son état en déclarant, moi, une grossesse. Le jour arrivé, ma sœur dissimula les douleurs qu’elle éprouvait, et moi je feignis des douleurs que je n’avais pas ; mais peu de jours après, Laura, qui avait supposé une autre indisposition, mourut des suites de l’accouchement, et ce fut là, en quelque sorte, la punition de sa faute… Une sage-femme fut seule notre complice, et personne n’aurait jamais connu cette fraude, dont j’ai toujours gardé le secret dans mon cœur, si la honte et la pudeur ne m’eussent forcée aujourd’hui à vous le révéler. Telle est ma faute, sire, je la confesse humblement à vos pieds ; et puisse votre colère ne tomber que sur moi seule, puisque moi seule suis coupable ! Mais veuillez en même temps, sire, considérer, comme excuse en